L'HISTOIRE
L'histoire peut désigner deux choses : une discipline, et l'objet même de cette discipline. En effet c'est à la fois le cours des événements et l'étude de ce cours (contrairement à la biologie par exemple, qui se distingue de son objet : le vivant). Cette analyse va donc amener deux sortes de questions : La première va concerner le statut de la discipline et sa méthode, son rapport à une vérité comme valeur, on pourrait parler d'une questionnement épistémologique.
La seconde sorte, va s'intéresser à l'objet de cette discipline, et c'est alors la question du sens qui va se poser : peut-on parler d'un sens de l'histoire dans les deux acceptions du terme ? L'histoire a-t-elle une direction quelconque ou bien le cours des évènements est-il en lui-même sans ordre déterminable ? Et cette ensemble a-t-il pour l'homme une intelligibilité ?
I STATUT DE LA DISCIPLINE HISTORIQUE
A) L'histoire est-elle une science ?
1) Caractéristique de la science:
- Universalité: (Il n'y a de science que de l'universel )
- Nécessité: Les mêmes causes produisent les mêmes effets.
- Possibilité de vérification.
- Objectivité du scientifique.
2) Comparaison à l'histoire.
· L'histoire n'est pas universelle: elle ne parle que du particulier, de l'événement.
· - Elle n'est pas nécessaire, elle est au contraire contingente (cf. Tolstoï et la bataille de Waterloo et l'homme au drapeau)
· Bien sûr aucune possibilité de vérification.
· Objectivité ? Véritable problème de l’historien.
o L'historien est partial, regarde angle social, économique etc.
o L'historien est un sujet, besoin d’une sympathie avec eux. Cf. « L'historien va aux hommes du passé avec son expérience humaine propre. » Ricœur Histoire et vérité. Toujours oscillation entre le projet scientifique (une science pure disait Fustel de Coulanges) et une participation : Michelet voulait « ressusciter les morts » Benjamin voulait « accorder une sépulture à ceux qui n’en ont pas. » François Furet voulait « refroidir l’histoire » L’historien doit comprendre l’homme du passé sans pour autant plaquer sur lui des conceptions modernes.
B) l'histoire est une connaissance.
1) ce qu'elle n'est pas :
· Une utopie = ce qui n'existe nulle part
· Roman historique: Personnages réels mais relation ou sentiments fictifs.
· Mythe : Invention de l'origine
· Apologétique: La recherche est un moyen, non une fin. Cf. histoire russe et serbe, stigmatisation de l’autre
2) Ce qu'elle est
· Elle cherche à établir une vérité, elle est donc une connaissance.
· Elle s'intéresse au passé (contre journalisme)
· Elle a pour objet l'homme. Donc l'histoire est une connaissance du passé humain.
3) relativité de cette connaissance:
Une connaissance est la recherche des causes.
· les causes peuvent être multiples, multiplicité de causes possibles. Ex pour l révolution Française explication économique, sociale ou événementielle.
· Difficulté à saisir ce qui est : ne pas s’attacher à ce qu’une époque considère tel.
C) Spécificité de l’évènement historique
Ø Intensité ( en fonction de ) Exemple du 11septembre
o l'ampleur du phénomène
o Nombre de gens impliqués
o Puissance de destruction.
Ø L'imprévisibilité (même exemple plus exécution du roi)
Ce qui est prévisible ne fait pas évènement par définition. Dans l'exemple présent, l'évènement fait rupture: Les USA n'avaient jamais
été touchés sur leur sol, leur confiance en l'inviolabilité de leur territoire était totale.
Même surprise symbolique et imprévisible dans l'execution du roi par exemple: La personne du roi était considérée comme sacrée. Jamais un roi n'avait été légalement exécuté.
Ø Retentissement:
Rôle capital des moyens de communication, d'où de plus en plus d’évènements ." les médias transforment en actes ce qui aurait pu n'être que parole en l'air, ils donnent au discours, à la déclaration, à la conférence de presse, l'a solennelle efficacité du geste irréversible" Pierre Nora.
Ø Conséquences (exemple de la marche sur la lune)
L'histoire est donc une connaissances qui, si elle ne correspond pas aux critères de scientificité des sciences de la nature a cependant une aspiration à une scientificité qui lui est propre TEXTE 3
II/ EVOLUTION DE LA DISCIPLINE
A) Une histoire classique évènementielle
La discipline classique, le récit historique se concentre sur la politique et sur l'événement. Les premiers historiens Hérodote et ou Thucydide (mort vers 400 BC) s'intéressaient à l'histoire politique , respectivement les guerres médiques (490- 479) et la guerre du Péloponnèse (431- 411). Mais même au XIXème siècle, l'objet de l'histoire demeurait globalement le même : l'évènement et les grands hommes.
" Afin que le temps n'abolisse pas le souvenir des actions des hommes et que les grands exploits accomplis soit par les Grecs, soit par les Barbares, ne tombent pas dans l'oubli" Hérodote Histoires Mais des historiens comme Lavisse conservaient un même objet, avec parfois un objectif moins scientifique en tant que manueliste : construire le "roman national" pour attiser le patriotisme de jeunes français.« Tu dois aimer la France, parce que la Nature l'a faite belle, et parce que l'Histoire l'a faite grande. » disait le manuel des écoliers de 1912. Tous les historiens antérieurs au 20ème siècle n'étaient pas aussi caricaturaux, Fustel de Coulanges qui traverse le 19ème par exemple avait une réelle considération pour la sociologie (Durkheim lui a dédié sa thèse), mais la tendance est là.
B) L'école des annales
Un nouveau projet qui va se caractériser par une enquête sur le temps long et l'espace large : A ce titre les ouvrages par exemple de Marc Bloch sur La société féodale (1939) ou celle de Fernand Braudel sur … La méditerranée au temps de Philippe II (1949) (l'espace large intéresse plus que le roi individuel) sont caractéristiques. Ce projet méthodologique est toujours actuel, l'Histoire mondiale de la France de Patrick Boucheron parue en 2017 en est un exemple.
Mais surtout ce que va apporter cette école c'est l'apport des sciences sociales dans l'étude historique. Marc Bloch, a déjà utilisé la méthode comparative empruntée à la linguistiques. Avec la revue des annales en 1929, qui s'appelle d'ailleurs Annales d'histoire économique et sociale L'école va généraliser ce procédé à la sociologie, l'économie, la démographie, la géographie, l'anthropologie etc. On peut emprunter une formule synthétique à Georges Duby pour caractériser ce projet : « Observer dans la longue et la moyenne durée, l'évolution de l'économie, de la société, de la civilisation ». Georges Duby, Le dimanche de Bouvines (1214) (1973)
Cette approche se désolidarise donc de l'évènement et va considérer un pluralité d'approches : Pour certains historiens par exemple la production de blé à Athènes au 5ème siècle est plus importante ou plus significative que la bataille de Marathon (490 BC).
D'autre historiens comme Jacques Legoff, vont s'intéresser à une histoire des mentalités, Emmanuel Leroy Ladurie à une histoire du climat, Georges Duby sera très imprégné par l'anthropologie structurale de Lévi Strauss.
Le projet historique demeure, parce qu'il s'agit toujours d'interroger le passé ( et principalement, mais pas exclusivement) le passé humain, mais il se diversifie.
C) Une discipline toujours polémique
Contrairement aux autres sciences, (et de même que de nombreuses sciences humaines), l'histoire demeure un enjeu politique. On peut le comprendre aisément lorsqu'il s'agit d'histoire récente, dont les protagonistes sont toujours vivants : les interprétations de la guerre d'Algérie demeurent orientées par exemple, mais même des évènement plus lointains correspondent à des enjeux. La raison en est souvent qu'un pouvoir veut galvaniser le sentiment national, et pour ce faire veut ancrer la "grandeur" dans le passé, parfois au mépris de la conscience : le pouvoir turc n'a jamais admis le génocide arménien, et il est interdit en Pologne d'évoquer la possible participation des autorités polonaises au génocide juif.
Même le passé très ancien peut constituer un enjeu par exemple le livre de Sylvain Gouguenheim Aristote au Mont Saint Michel paru en 2008 avait entraîné de vives réactions " Cette Europe-là n’est pas la mienne. Je la laisse au ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale et aux caves du Vatican " en disait Alain de Libéria. Plus récemment le livre de Patrick Boucheron déjà évoqué faisait dire à l'essayiste A. Finkielkraut qu'il était " le fossoyeur du grand héritage Français".
III/ L’HISTOIRE DEVENIR HISTORIQUE.
· Découvrir un sens dans l'histoire = Direction ( but ) Signification, Intelligibilité.
· L’histoire relate mais ne cherche pas un sens de l’histoire, c’est la philosophie de l’histoire qui le fait.
A) Le matérialisme historique
L'histoire des hommes est d'abord l'histoire de leur évolution matérielle : nous n'avons pas les mêmes sociétés lorsque nous avons le moulin à vent ou lorsque nous avons la machine à vapeur. Ces évolutions en entraînent d'autres sur le plan social. Cf. Schéma Mais ce qui est historiquement déterminant c'est qu'en fonction de cette façon de produire des classes sociales apparaissent et rentrent en lutte les unes avec les autres : c'est parce que la société féodale produisait comme elle le faisait qu'elle s'est structuré autour de la division entre seigneurs et serfs (avec tous les intermédiaires). Le sens de l'histoire c'est celle de l'évolution matérielle des moyens de production, et celle de la lutte des classes. Dans la production machinique on atteint le point culminant de cette lutte, une opposition plus frontale entre capitalistes et prolétaire, opposition qui devrait aboutir à une révolution terminale mettant fin à l'opposition des classes.
B) La raison postulée.
Affirmation Hégélienne selon laquelle l'histoire est la compréhension progressive par l'Esprit de ce qu'il est = liberté. Traduction: la liberté s'affirmerait au cours de l'histoire.
· Elle s'affirmerait d'abord dans la civilisation Orientale ou un seul est libre.
· Ensuite elle s'affirmerait dans la civilisation antique où quelques uns sont libres.
· Elle s'accomplirait dans la civilisation moderne où " tous sont libres "." C'est l'esprit, sa volonté raisonnable et nécessaire qui a guidé et continue de guider les événements du monde." Hegel, La Raison dans l'histoire.
· Pour comprendre repérer les civilisations qui réalisent un progrès dans l'histoire.
· Ensuite sont historiques les événements qui marquent le même progrès = qui amenèrent une civilisation à sa grandeur ( César, Alexandre le Grand ) ou à sa perte.
· On juge alors les acteurs de l'histoire à ce qu'ils ont inconsciemment, par l'intermédiaire de leurs passions particulières, fait progresser l'histoire " Il résulte des actions des hommes autre chose que ce qu'ils projettent et accomplissent. Ils réalisent leur intérêt, mais il se produit autre chose qui y est caché à l'intérieur, dont leur conscience ne se rendait pas compte et qui ne rentrait pas dans leur vues (...) c'est ce qu'il faut appeler la ruse de la raison. " Hegel, La Raison dans l'histoire Par exemple Napoléon avec son ambition personnelle a fait progresser l'histoire.
· Objection morale: tend à tout justifier " L'histoire du monde est le jugement dernier du monde. "
B) Idée d'une histoire universelle.
· On peut conserver l'idée selon laquelle on possède un fil directeur pour comprendre le fil des événements historiques sans rompre avec la capacité de jugement. Paradoxalement Kant postule moins que Hegel.
· Il reste que l'histoire de Kant est basée sur l'idée de nature. Le principe de la nature c'est que toute disposition naturelle tend à se développer complètement. Vérification par la finalité interne (l’organe par rapport à l’organisme) et externe (un animal dans un éco système).
· Or dans l'homme 2 dispositions ne sont pas complètement développées: La raison et la liberté. Dem: la méchanceté, la soumission commune des hommes à la passion et à l'égoïsme plutôt qu'à la raison.
· Donc 2 solutions: Ou l'homme est une malheureuse exception ou bien le développement de ses dispositions ne se fera pas dans l’individu mais dans l'espèce.
· L'histoire serait donc l'histoire du développement complet de ces 2 dispositions originelles de l'homme que sont la raison et la liberté.
· Le moyen de ce développement sera, comme chez Hegel, les passions qui disciplineront l'homme et le forceront à se donner des lois.
· Là ou l'on peut penser qu'il y a une supériorité sur cette considération de l'histoire c'est que le jugement moral n'en est pas exempt, qu'il est même distinct des conséquences historiques des actions historiques. Pour Kant l'homme individuel demeure moral ou non en fonction de ses actes, mais là où il y a du "destinal" c'est que même si les hommes ne font que suivre leur mauvais penchants, une forme de providence les mènera vers un monde plus raisonnable : le prix à payer pour leur folie sera tel qu'ils seront contraints à la sagesse.
· L'homme moral travaille de son mieux au progrès de l'histoire, et seule compte sa bonne volonté dans cette entreprise. Il n'est pas responsable des conséquences.
· cependant là encore un postulat sur la volonté de la nature, et même sur la providence.
C) Critique des philosophies de l'histoire
1) Possibilité d'une pensée du déclin
Les ravages du 20ème siècle ont nettement douché les optimismes historiques, (même si on peut encore en constater des avatars lorsque certains comme Fukuyama parlaient en 1993 d'une "Fin de l'histoire"). Mais on a déjà pu considérer des pensées qui concevaient dans un progrès technique généralisé, non pas un développement de la raison mais une dégradation de la pensée. Heidegger en est un exemple. Les penseurs écologistes, comme Hans Jonas, qui voient dans l'avenir plus de dangers que de promesses s'en sont souvent inspirés (Cf. cours sur La technique)
2) Le danger du sens postulé
Toutes les philosophies de l'histoire ont le défaut de postuler un trop grand nombre de choses : celle de Hegel postule l'avènement nécessaire de la raison, celle de Kant une nature finalisée dont on connaît désormais le caractère extrêmement douteux. Même le "matérialisme historique" de Marx, qui se voulait scientifique pouvait donner lieu à une instrumentalisation simple.
On peut rappeler, contre Hegel, que l'histoire ne juge pas, que l'histoire est de l'ordre des faits, de l'immanent, et que le jugement s'il est transcende toujours le fait : " Il est en effet pour tous les philosophes une suprême évidence qui apparaît come la condition d'existence de la philosophie elle même: celle de la supériorité de l'esprit jugeant sur tout ce qu'il peut avoir à juger, sur tout ce qui, pour lui, peut devenir objet et donc sur l'histoire et les pouvoirs qui s'y manifestent. " Alquié Solitude de la raison.
3) L'illusion du sens immanent
- Toute croyance en un "sens" de l'histoire introduit d'une façon ou d'une autre dans les faits une rationalité postulée, et traduit davantage le désir des hommes que la prise en compte du réel. C'est bien d'abord le contraste entre ce désir de raison et son absence dans le monde que Camus nomme l'absurde : " Ce monde en lui-même n'est pas raisonnable, c'est tout ce qu'on peut en dire. Mais ce qui est absurde, c'est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme. " Camus Le mythe de Sisyphe
En conséquence toute découverte d'un sens dans les évènements du passé ne se fait qu'à partir d'un projet : les chrétiens voyaient volontiers les penseur grecs comme des "préchrétiens" et des démocrates convaincus concevaient dans les guildes municipales du moyen âge le prémisses des constitutions futures. Comme le montre Bergson TEXTE, il y a souvent une illusion rétrospective dans la détermination d'un sens de l'histoire.
« Les signes avant-coureurs ne sont donc à nos yeux des signes que parce que nous connaissons maintenant la course. » Bergson