L’IMITATION

 

 

L'imitation est un concept que l'on trouve dans presque tous les domaines de la connaissance:

Anthropologie, politique théorie de la connaissance. Il est donc difficile de trouver une unité au concept, une signification qui vaille dans tous les aspects de la notion.

Cependant on peut constater que l'imitation introduit toujours une relation à autre chose exemple ou modèle.

Fil conducteur: considérer quel type de relation entretient l'imitation avec cet autre qu'elle même modèle ou exemple.

But: essayer de déterminer dans quel domaine l'imitation affirme une distance ou un écart avec ce qu'elle imite et dans quel domaine elle correspond à une recherche de l'identité. Mais surtout objectif sera de comprendre dans quel domaine l'imitation peut avoir la plus grande valeur.

 

I/ L’IMITATION EN ESTHETIQUE

 

A) la reproduction du réel.

 

1) Statut ontologique.

Dans son premier sens l'imitation consiste ne une reproduction, une image du réel.

C'est en fonction de cette position seconde par rapport au réel que Platon condamne l'imitation Pour Platon les objets visibles ne sont que des exemplaires d'une réalité plus haute, intelligible, leur degré de réalité st donc inférieur à celui des idées. Alors ce qui, comme la peinture imite les objets visibles, aura donc un statut ontologique encore moindre.

" Il y a trois sortes de lits; l'une qui existe dan la nature des choses et dont nous pouvons dire je pense que Dieu en est l'auteur (...) Une seconde est celle du menuisier; et une troisième celle du peintre. " La république X 597a

Donc l'imitateur «  c'est l'auteur d'une production séparée de la réalité de trois degrés. »

Cette conception est reprise plus tard par Aristote " l'art imite la nature "(attention simple description de procédé générique identique)

Mais surtout cette formule au premier degré trouvera son expression dans un mouvement artistique lui même imitatif: la renaissance.

Là l'imitation est érigée en principe et multiplication des procédés techniques pour parvenir à l'imitation la plus parfaite possible. Ex Faux escaliers de Vasari dans la décoration du palais de la chancellerie à Rome en 1550, fausses percées de plafond s'ouvrant sur un faux ciel avec des petits anges part Mantegna dans la chambre des époux du palais Ducal de Mantoue en 1474.

L'imitation réduit alors la création à autre chose qu'elle même: à un ensemble de procédés techniques destinés à faire prendre le faux pour le vrai, à une falsification.

On peut admirer la performance mais l'émotion sera nulle.

c'est selon cette carence que Balzac rejette l'imitation parfaite en art. En effet si celle-ci était le but de l'art alors un moulage serait la plus parfaite sculpture, mais dit Balzac: " Essaie de mouler la main de ta maîtresse et de la poser devant toi, tu trouveras un horrible cadavre sans aucune ressemblance, et tu seras forcé d'aller trouver l'homme qui, sans te la copier exactement, t'en figurera le mouvement et la vie." Le chef d'œuvre inconnu.

Sur le terrain de la représentation exacte, de la reproduction, l'œuvre d'art est toujours un déficit par rapport au réel, elle ne sera jamais qu'un réel dégradé, elle se place elle même sur un plan d'infériorité par rapport au réel, elle le reconnaît comme un modèle supérieur. http://philobeziel.jimdo.com/textes/la-nature-textes/

Il faut donc une certaine distance entre l'imitation et son modèle et un choix de ce modèle pour que l'artiste puisse s'exprimer avec des modèles aussi différents que ceux de Goya, de Botticelli ou Watteau.

Dès qu'il ne s'exerce plus un rapport de ressemblance mais un rapport d'identité, le plaisir et le statut d'œuvre d'art disparaissent cf. Perrault: dans le parallèle des anciens et des modernes: " Cent fois les perdrix ont mis la main sur des perdrix peintes pour le mettre à la broche. Qu'en est-il arrivé ? On a ri et le tableau est resté à la cuisine. "

 

2) Insatisfaction du besoin artistique dans la reproduction.

Une simple reproduction ne doit pas seulement son manque d'intérêt à son statut de réalité, elle le doit également à l'expression qu'elle manque. cf. Hegel: l'homme s'extériorise, il "s'offre à sa propre contemplation ", il cherche un miroir pour se saisir en tant que conscience, il ne cherche pas une image de lui-même ou de la nature. L'art est un moyen de la conscience de soi, il est une des surfaces réfléchissantes qui permet la réflexion. Comparaison du mouvement de la conscience dans l'art à une chasse: " l'homme chasse hors de lui ce qu'il est " 2 sens de chasse -> Il se projette, se met hors de lui et cherche à s'attraper, il se dédouble et se contemple. Dans l'art il se projette et se saisit en tant que conscience. Dans une œuvre d'art purement imitative, il ne trouve que l'image de la simplicité de " la grande bêtise des choses «.

L'imitation en art ne peut donc constituer en une simple reproduction. Une imitation n'est pas l'objet imité mais ne doit pas se faire passer pour elle sous prétexte de devenir une falsification.

L'imitation trouve au contraire une possibilité d'exploitation artistique dans l'affirmation d'une distance par rapport au réel.

 

B) La distance avec le réel.

 

Exemple dans la poésie tragique, l'imitation est la condition d'existence de l'art. En effet la poésie tragique (possibilité d'extension au métier d’acteur) ne reproduit pas ce qui est, elle dit ce qui pourrait ou devrait être dans un but déterminé. On le voit lorsque Aristote oppose la poésie à l'histoire: " Si l'histoire raconte le particulier, la poésie raconte le général c'est à dire que telle sorte d'homme dira ou fera telle ou telle chose vraisemblablement ou nécessairement."

But de la tragédie: Non pas décrire quelque chose (L’intérêt d'Œdipe Roi n'est pas la description de l'histoire Thébaine à une époque donnée, extensible à Hamlet) mais faire ressentir quelque chose.

Pour cela la tragédie doit produire l'illusion d'une action réelle pour faire en sorte que le spectateur éprouve les sentiments que génère l'action mise en scène.

Et ce que les tragédiens Grecs cherchaient à exprimer c'est la crainte et la pitié: " L'imitation a pour objet, non seulement une action complète mais encore des faits propres à exciter la crainte et la pitié." En poésie tragique, l'imitation a un autre valeur qu'en peinture ou en sculpture: Elle soit être non la reproduction d'une situation réelle mais la production d'une situation possible. Elle doit être une fiction dont la trame est déterminée par le but ou l'inspiration de l'auteur mais elle doit être une fiction assez proche de la réalité pour permettre la sympathie, la participation à l'action feinte, et la catharsis, le soulagement provoqué par le fait d'avoir ressenti la crainte et la pitié

Une imitation parfaite est donc invalidée en Esthétique, une simple reproduction de l'objet n'est qu'une réalité dégradée, sans signification.

C'est au contraire par une distance avec son modèle que l'imitation s'affirme comme possibilité d’expression. Le rapport de l'œuvre à son modèle ne peut et ne doit pas être un rapport d'identité sous peine que l'imitation en art ne se réduise à une activité servile.

 

Mais imiter ne signifie pas simplement produire une oeuvre en relation avec un modèle cela signifie également s'inspirer d'un exemple pour agir. On va donc cherche r à déterminer l'intérêt de l'imitation sur le plan de l'action.

Il ne s'agit plus du rapport entre une réalité et ce qu'elle représente mais de la valeur pratique de l'acte d'imiter.

 

II/ L’IMITATION DANS LE DOMAINE MORAL

 

A) pertinence psychologique de l’imitation

GIRARD

B) Critique par la philosophie pratique

 

La philosophie morale a presque toujours eu un rapport méfiant à l'égard de l'imitation en morale.

La critique Platonicienne par exemple porte a la fois:

- Sur l'action d'imiter, sur le peu d'intérêt par exemple que représente l'imitation pour l'accès à la connaissance.

- Sur le danger qu'il pourrait y avoir à imiter un mauvais exemple.

L'action d'imiter est à la fois perçue comme puissante et dangereuse: le principe mimétique peut détourner l'individu de ce qu'il doit être. Platon dit à propos des gardiens: " Il faut qu'ils ne fassent et n'imitent rien d'autre, sils imitent , que se soient les qualités qui leur convient dès l'enfance. "

Le fait de rejeter à ce point l'imitation montre sa puissance, à quel point il peut déterminer un comportement. Ex: la mode etc.

Quelle que soit l'importance de l'imitation sur le plan social, l'imitation se heurte dans une philosophie pratique au lien entre l'acte moral et la liberté.

L'imitation explique un acte, il permet d'en donner la cause, il est de l'ordre de la psychologie. Mais la philosophie morale, suppose justement que l'individu n'est pas réductible à une psychologie, que quelques soient les influences qu'il ait subi il reste le seul auteur de son acte.

L'acte moral n'est pas un acte déterminé par l'imitation d'un exemple mais un acte libre.

De plus si la moralité ne peut être fonction de l'imitation c'est parce qu'on ne peut trouver d'exemple d'acte que l'on puisse attribuer sans conteste à une bonne intention: " Mainte action peut être réalisée conformément à ce que le devoir ordonne sans qu'il cesse pour cela d'être douteux qu'elle soit réalisée proprement par devoir et qu'ainsi elle ait une valeur morale. Kant: Fondements de la métaphysique des mœurs Section 2.

La moralité dépend donc d'une libre détermination au bien du sujet par lui même, d'une libre volonté indépendante des influences extérieures.

Un rôle tout de même de l'exemple dans la morale au niveau de l'éducation.

L'exemple permettrait de mettre en lumière une probable réalisation du devoir moral dans des situations difficiles, ou en ce qui concerne l'aspect pédagogique, de permettre chez l'enfant un comportement conforme à la moralité communément admise en attendant une maturité dans ce domaine: " Je sais que toutes ces vertus par imitation sont des vertus de singe et que nulle action n'est moralement bonne que lorsqu'on la fait comme telle et non parce que d'autres la font. Mais dans un âge ou le coeur ne voit rien encore il faut bien faire imiter aux enfants des actes dont nous voulons leur donner l'habitude en attendant qu'ils le fassent par amour du bien." Rousseau Emile, II. 98.

L'imitation permet certes de décrire une grande partie du comportement, les vertus de singe pour parler comme Rousseau pourrait bien être le résumé des vertus humaine, la " vertu "d'un individu n'étant souvent que la reproduction des vertus de son milieu. Elle présente même un danger de fusion de l'individu dans un comportement collectif lui faisant perdre tout individualité, ce que Heidegger nomme le " on même ".

L'imitation est toujours en morale considérée comme un moyen et non une fin.

Nous avons donc 2 niveaux de la moralité: la conformité à la morale et l'action morale proprement dite, et il semble bien que l'imitation doive rester au niveau inférieur de la simple conformité à une morale en vue de l'intégration de l'individu au groupe social auquel il appartient.

Cependant cette division ne comprend l'exemple que comme la reproduction froide d'un comportement mais il peut exister une relation plus directe entre la figure exemplaire et celui qui cherche à l'imiter. La personne qui choisit d'imiter tel héros ou figure exemplaire à la source de la morale de sa société n'obéit pas ç une morale faite d'habitudes et de soumission, il est à la source de la morale. Il ne s'agit plus d'un rapport mimétique mais d'une influence directe exercée par des initiateurs moraux C'est ce que Bergson nomme l'aspiration.

 

C La possibilité d'aspiration

 

La notion de morale aspiration chez Bergson permet de placer l'imitation sur un autre plan éthique: celui de l'assimilation d'une personne au modèle qu'elle veut imiter.

L'imitation représenterait une possibilité de relation mystique garante d'élévation morale. Explication par la différence entre 2 morales dans Les 2 sources de la morale et de la religion:

On distingue 2 possibilités de prise sur la volonté: " Par la première on inculque une morale faite d'habitudes personnelle, par la seconde on obtient l'imitation et même une union personnelle, une coïncidence plus ou moins complète avec elle..

L'imitation n'est plus déterminée sur le plan social comme une attitude qui permet de maintenir une société dans sa forme, ni du point de vue éthique comme simplement conforme à la morale en vigueur, elle représente une possibilité de transfiguration.

On peut donc dire que si l'imitation et le comportement imitatif était considéré comme de peu d'intérêt dans la philosophie pratique , en raison de son opposition avec l'exigence éthique de liberté, elle retrouve une grande importance dans le lien entre la morale et la pratique religieuse quelle qu'elle soit.

 

III/ LA VALEUR RELIGIEUSE DE L'imitation

 

A) Religions historique et imitation

 

En effet toute religion considère des figures exemplaires en accord parfait avec le dogme.

Dans cette optique l'attitude morale par excellence sera la plus grande assimilation possible entre les actes de l'individu et la figure exemplaire.

dans une grande partie de la tradition chrétienne, le critère de la morale est le lien avec le Christ.

Cf. St Jean de la Croix dans les Avis et maximes de l'imitation de Jésus Christ : " On ne peut faire de progrès dans la vertu qu'en imitant le Christ." et les recommandations pratiques s'organisent autour d'une plus grande assimilation possible avec le dieu incarné.

St Ignace d'Antioche: " Soyez les imitateurs de J.C. comme lui même l'est de son père.

Cette imitation trouve son statut d'assimilation, non simplement de directive pratique, dans la plupart des rites chrétiens dont l'objectif est de rendre à nouveau présent le sacrifice originel (ex. la communion). Certaines pratiques d'églises chrétiennes poussent même cette reproduction au paroxysme ( cf. Les Philippines et la réitération du supplice de crucifixion.

Il ne s'agit plus ici de trouver dans un exemple une garantie de progrès moral, il s'agit de rendre à nouveau présent le Dieu.

Mais ces pratiques d'assimilation, à quelques exceptions, restent en filigrane dans les rites des religions occidentales. Aussi n'est-ce pas là que l'imitation recèle son sens le plus fort.

On retrouve par contre ces pratiques sans mélange dans des religions plus archaïques.

 

B) Religions non historiques et assimilation.

Une synthèse des différentes pensées archaïques tentée par Mircéa Eliade, confirme l'imitation comme mode essentiel de l'homme primitif, mais il insiste surtout sur le fait que cette imitation est une participation la plus complète possible à une réalité transcendante.

L'étude d'Eliade montre que pour l'homme archaïque, presque tous les gestes sont et doivent être la reproduction de gestes inaugurés à l'origine du monde. C'est seulement par ce précédent sacré ( et non par une quelconque efficacité technique ) qu'un geste prend une valeur au sens fort du terme: Ils deviennent eux mêmes des gestes sacrés.

Par l'imitation l'homme s'insère dans l'ordre du divin.

En fait , dans la pensée archaïque, le profane est banni, seul le sacré est au sens propre, et seule l'imitation participe à l'imitation véritable.

" Non seulement les rituels ont leur modèle mythique mais n'importe qu'elle action humaine acquiert son efficacité dans la mesure où elle répète exactement une action accomplie au commencement des temps par un Dieu, un ancêtre ou un héros." Mircéa Eliade: Le mythe de l'éternel retour.

Exemple: Préparer la nourriture est la répétition d'un geste inauguré. Ce mode de vie implique une projection, une intimité avec le temps de l'origine.

Le type d'existence imitative devient alors le mode d'être et le mode d'action qui permet la plus grande assimilation possible avec les Dieux et l'imitation atteint son plus haut degré de réalité.

 

CONCLUSION.

 

Le rapport de l'imitation à la réalité peut donc se concevoir dans plusieurs domaines:

En Esthétique, l'objet imité, s'il n'a comme qualité que la plus grande ressemblance possible avec son modèle ne possède que le statut de réalité dégradée.

L'imitation en elle même n'a donc pas de valeur sur le plan esthétique.

Si dans le domaine de l'action, l'imitation peut recouvrir une réalité comme structure explicative pour un grand nombre de comportements humains, elle n'est pas pertinente dans le domaine de l'action morale.

Elle retrouve sa pertinence en tant qu'expression d'un accès à une transcendance et son plus haut degré de réalité comme possibilité, dans un type de société, de participer à la seule réalité que ces sociétés considèrent comme telle.