LA CULTURE

 

  

 

 A sens premier la culture est en relation avec un processus lui-même naturel mais dans lequel s’inscrit ou s’immisce une intervention de l’homme.  Comme le rappelle Hannah Arendt : un « entretien de la nature en vue de la rendre propre à l'habitation humaine." La crise de la culture  

 

Toutefois, le mot culture a évolué avec le temps, et l'on peut aujourd'hui distinguer au moins trois sens du mot comme le fait Denis Kambouchner dans Notions de philosophie III :

 - Un sens « ontologique », tout ce qui sépare l’homme de la nature, ou comme le dit Freud "Tout ce en quoi la vie humaine s'est élevée au-dessus de ses conditions animales et ce en quoi elle se différencie de la vie des bêtes." Dans L’avenir d’une illusion.  Le concept de culture se pense alors en opposition à celui de nature.

 - Un sens anthropologique :

Ce que l’on nomme généralement une culture, et qui est le résultat du processus par lequel l’humain s’est séparé de l’animalité, la manière dont « elle a réalisé en elle-même » la culture au sens ontologique, c’est-à-dire ses arts, ses croyances, sa morale etc. C’est cela qui est l’objet de l’ethnologie, ou de l’anthropologie en général.

 - Un sens classique : « Le résultat réel ou idéal de ce processus dans un sujet qui s’y est activement prêté » Kambouchner, Ibid.

 C’est ce qui fait que l’on dit d’une personne qu’elle est ou non cultivé, le contraire pourrait alors être l’inculture ou l’incivilité. Cette analyse peut elle-même être divisée en : sociologique ou humaniste.

 Ces différentes acceptions amènent différentes questions, qu’on pourra restreindre à certaines : la première va consister dans les enjeux d’une distinction entre la nature et la culture, dans la difficulté qu’elle représente mais dans le danger également d’une confusion.

 L’acception anthropologique entraînera des questions tout aussi redoutables concernant le rapport entre les différentes cultures les difficultés de leur acceptation mutuelles et la question très polémique de leur « égalité ».

 Au sens classique on pourra s’interroger sur la notion d’individu cultivé, sur la possible instrumentalisation du terme et sur le maintien de sa pertinence.

 

 

 

 

 

I/LA QUESTION DE LA DISTINCTION ENTRE L’HOMME ET L’ANIMAL

 

  

A) Les écueils de la distinction radicale

 

1) De la détermination des qualités à la distinction radicale

 

La distinction entre nature et culture est toujours considérée comme une différence de nature entre l’homme et l’animal, une différence fondée sur le constat discutable de facultés difficilement identifiables comme la liberté : « La nature commande en tout animal et la bête obéit » Rousseau Discours sur l’origine de l’inégalité, ou bien la faculté d’avoir une conscience réfléchie : « grâce à l'unité de la conscience (…)  il est une seule et même personne, c'est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison(…) Il se pense » Kant Anthropologie du point de vue pragmatique.

 Cette distinction a même pu aller jusqu’à dénier au bêtes toute communauté avec l’humain, voire même toute sensibilité.

« Il est plus probable de penser que se meuvent comme des machines, les vers de terre, les moucherons, et les autres animaux » Descartes Lettre à More du 5 février 1649

Non seulement cette attitude conduit à une cruelle indifférence mais elle est viciée à la base en ce qu’elle ne considère pas l’animal en lui-même, mais seulement comme celui qui manquerait des qualités que l’on veut bien constater et valoriser chez l’humain.

 

 

 

2) La prise en compte  de l’éthologie.

 

https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2006-2-page-29.htm#

 

Les études non plus sur l’homme, pour en montrer la spécificité, mais sur l’animal remettent en question des distinctions souvent idéologiques.

 - Des capacités animales souvent sous estimées souvent d’ailleurs en raison d’un biais méthodologique qui consiste à expérimenter en laboratoire sans tenir compte des individus. Des biologistes comme Yves Christen mettent l’accent sur des individualités animales, sur les anecdotes de certains observateurs, primatologues notamment pour montrer que les animaux peuvent analyser, compter, parfois mentir, faire preuve d’une vie psychique complexe. Cf. des exemples de L’intelligence des animaux

 On peut même contester  l’exclusivité de la culture au seul humain. C’est ce qu’on fait plusieurs éthologues, et plus particulièrement des primatologues comme Diane Fossey, ou Jane Goodall

 

Plusieurs arguments y concourent :

 

-    l'existence d'une éducation chez de très nombreuses espèces (mammifères, oiseaux, reptiles entre autres) dans ses deux aspects : apprentissage et enseignement à un tiers.

 -     On retrouve chez les animaux les différents éléments qui sont traditionnellement invoqués pour qualifier le phénomène culturel : langage (différencié au sein d’une même espèce), outils, présence de règles, etc.

-  il peut exister, au sein d'une même espèce animale, différentes cultures (ex. : chez les chimpanzés, qui utilisent des techniques de chasse différentes selon les groupes).

Tout concourt à infirmer la thèse d’une distinction essentielle entre une animalité mécanique déterminée par un instinct mécanique et une humanité guidée par la représentation de ses propres actions.

 En somme l’homme serait différent du chimpanzé par exemple, comme le chimpanzé des fourmis, il n’aurait pas de statut à part dans le règne animal. "Rien ne justifie d'attribuer aux cultures humaines un statut spécial, alors qu'un statut particulier est largement suffisant."

Dominique Lestel Les origines animales de la culture

 

 

 

B) Les arguments des anti-spécistes 

 

 1) Il y a certes équivocité chez l'homme entre sa nature et sa culture

L'homme met en avant le fait qu'il soit différent de l'animal en tant qu'être de culture, mais la frontière entre sa culture et sa nature est indiscernable : 

 Comme le rappelait déjà Rousseau dans le discours sur l’origine de l’inégalité l’homme est tellement pétri de culture qu’il est difficile d’envisager une nature quelconque. Même ce qui semble naturel, connaît un grand nombre de variations, manger bien sûr mais aussi dormir, respirer etc. Ce que Mauss a étudié dans Les techniques du corps Il nomme habitus ce qui relie ces trois caractéristiques (physique, psychologique et sociologique), qui nous permettent d’agir.

Il semble donc qu’il faille parler d’une impossible détermination de la « nature humaine », d’une distinction nette entre la culture et la nature.

  

2) Le spécisme et le droit des animaux.

 

Le droit des animaux, entre protection et abolitionnisme (ce dernier terme est clairement une référence à l'esclavage)

Les défenseurs des droit  sont à ce titre héritiers de la réflexion de Bentham sur le questionnement pertinent à propos de l’animal : La question n’est pas : Peuvent-ils raisonner ? Ni : peuvent-ils parler ? Mais : peuvent-ils souffrir ? "  Introduction à Principes de morale et de legislation. 

  Des penseurs comme Tom Regan ou Gary Francione, à la fois juristes et philosophes considèrent que le fait d’avoir une pensée complexe ou simplement le fait d’être un individu sensible implique le fait d’appartenir à une communauté morale. Tout sujet sensible est donc par conséquent un sujet de droit.

Excès de l'anti spécisme

 Le  spécisme est un terme fondé sur le modèle du racisme : comme on a distingué des races entre humains, on a distingué des espèces afin d’autoriser ou de justifier les maltraitances ou l’exploitation  à renier la spécificité humaine, l’antispécisme devient un antihumanisme : «  lorsqu’il s’agit des membres de notre espèce qui n’ont pas les caractéristiques normales d’un être humain, nous ne pouvons plus affirmer que leurs vies sont toujours à préférer à celles d’autres animaux. » Stinger La libération animale.

 Bentham rappelle que si l’on considère les aptitudes pour déterminer l’obtention des droits, alors un animal en bonne santé est plus apte qu’un handicapé par exemple.

 

C) Les écueils de la confusion entre homme animal. 

 

1) Le caractère central de l'éducation et de l'héritage culturel

 

L’animal est capable à la fois d’apprentissage, et dans une certaine mesure d’enseignement. Ce n’est peut-être qu’une question de degrés mais chez l’homme l’enseignement est central. Un animal ne va pas ne pas être ce qu’il est sans éducation, un humain si. C’est ce que montrent les exemples recensés par Lucien Malson TEXTE dans son livre Les enfants sauvages. Il montre qu’ils sont incapables.

- D’acquérir la station droite

- D’accéder au langage

- D’avoir une perception affinée (ne reconnaissent pas le plat du relief, confondent les choses et leurs images)

-  D’avoir un appétit sexuel pour des partenaires de la même espèce.

Globalement on peut distinguer assez clairement l’hérédité chez autres animaux et l’héritage chez l’homme.

 

2) La difficulté juridique d'un droit animal 

 L'impossible définition de l'animal

L'animal serait d'abord difficile à définir, si on parle de tous les animaux, ou des animaux "sensibles", peut-on exclure les insectes ? Et comment les inclure ? Comment accorder aussi une considération juridiques aux puces etc. comment même protéger un animal contre un autre : doit-on considérer les droits de la gazelle ou ceux du lion ? 

D'ailleurs rappelons que dans le droit Français, "l’Animal en tant que tel n’existe pas. Ce qui existe, ce sont des types de relations homme/ animal qui déterminent différents régimes juridiques d’animaux" Francis Wolff, « Des conséquences juridiques et morales de l’inexistence de l’animal », Pouvoirs, 131   

 Difficile de donner des droit à ce qui ne peut être défini, même s'il est possible d'accorder une protection juridique aux animaux qui ont une relation particulière avec nous (animaux de compagnie, d'élevage)

 

L'impossible inclusion de l'animal dans le fondement du droit

Il faut résoudre le problème soulevé par Bentham d'un considération de l'homme en fonction de ses capacités : pourquoi considérer des animaux des humains qui n'auraient pas davantage de capacités qu'un animal très développé. 

Pour le comprendre il faut savoir ce qui fonde le droit : la notion de réciprocité, et pour considérer sa justice, il faut s'abstraire de sa situation réelle pour envisager toute situation possible (c'est le sens des différentes expériences de pensée comme celle de J.Rawls). Qu'est ce qu'un droit juste ? Un droit qui pourrait me protéger quelques soient les hasard qui me placerait dans telle ou telle situation ( riche, pauvre, sain, malade, handicapé ou grabataire, valide etc.). Voilà pourquoi les humains sont tous considérés comme égaux a priori « Se sachant tous virtuellement vulnérables et ignorant leur degré de vulnérabilité réelle, ils se déclarent égaux a priori. Leur égalité est ainsi l’effet d’une assertion performative du même type que celle qui est à l’origine des Déclarations des droits humains » Francis Wolff, Plaidoyer pour l'universel

Difficulté de considérer les fins de l'animal

L'animal ne peut non plus être sujet de droit parce que bien qu’objet légitime d’affection ses fins peuvent, pour sa propre sécurité, être contredites : il est bénéfique de stériliser des membres d’une population animale pour éviter sa surpopulation, ce serait un scandale pour des humains. Cela ne signifie pas que l’on puisse dénier à une population animale sauvage, les possibilités de son existence, et détruire son environnement, mais ce sera davantage au nom d'une préservation d'une espèce que d'un individu. 

 

3) La nécessaire reconnaissances de la sensibilité animale 

Il est difficile de savoir si l’homme a des devoirs envers l’animal (comme le considère Rousseau) ou s’il a des devoirs envers lui-même (comme le considère Kant) concernant l'animal. 

 Il n'en demeure pas moins que , si l'homme peut exclure l'animal du droit parce qu'il n'est pas son semblable, il ne peut l'exclure des êtres sensibles. En conséquence la plus grande économie dans la souffrance animale devrait être une règle, la torture devrait être une prohibition stricte, et la surveillance d'une observance de cette économie, notamment dans les abattoirs, devrait s’imposer comme une précaution minimale. 

« Nous devons la justice aux hommes, et la grâce et la bénignité aux autres créatures » Montaigne Essais II, 11

 

 

Une autre difficulté se fait jour dans le rapport entre nature et culture, une autre confusion qui ne va pas consister en une déconsidération de la nature mais en une difficulté des rapports entre les différentes cultures humaines.

 

 

II/ LA NATURE ET LES CULTURES, AUTRE CONFUSION

 

 

A) La négation ethnocentrique de la pluralité des cultures

 

1)  la négation de la culture de l’autre

L’ethnocentrisme consiste à confondre ma culture et la culture, et à rejeter dans l’animalité ou l’infériorité tout ce qui est culturellement différent.

Cf. le barbare ou « le sauvage ». Ces termes désignent directement une appartenance à ce qui n’est pas civilisé, ce qui ferait partie du monde animal TEXTE 2 : « On préfère rejeter dans la nature tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit." Lévi Strauss: Race et Histoire

Tendance très claire : « humain » se dit cheyenne en cheyenne etc.

 

2) Dénonciation de la confusion:

 -  L'ethnocentrisme conclut du semblable à l'humain. Problème seul un groupe animal est semblable à un autre groupe animal TEXTE 3 : « Posons donc que tout ce qui est universel chez l'homme relève de l'ordre de la nature et se caractérise par la spontanéité que tout ce qui est astreint à une norme appartient à la culture et présente les attributs du relatif et du particulier. »   Lévi-Strauss: Les structures élémentaire de la parenté.

-  Un seul universel culturel : la prohibition de l’inceste.

Pas de justification intellectuelle de l’ethnocentrisme, mais compréhension possible. Cela signifie-t-il qu'il faille éviter tout jugement à l'égard d'une culture, c'est un problème que nous verrons ensuite. 

 

 

B) Le racisme

 

1) Caractéristiques

 -  La croyance en la race (détermination biologique)

-  Croyance en une corrélation entre caractères physiques et caractères mentaux

-  L’affirmation d’une hiérarchie entre les races

-  Droit à une race d’en dominer une autre

-  Volonté de préservation contre la mixité (ou bâtardise)

 

2)  Origines du racisme

-  Les mythes culturels : mythe du « sang pur »

-  Lien idéologique entre origine et niveau social (cf. « la princesse au petit pois »)

-  Travail scientifique de classification

-  Travail idéologique du XIXème siècle. Théories de Gobineau, Vacher de Lapouge, etc. Les hommes étant d’inégale valeur en raison de leur appartenance naturelle à des races de valeur inégale, il convient par conséquent de les traiter de façon inégale.

 

 

 

C) L’affirmation possible d’une condition humaine universelle.

 

1) L’apport scientifique

 -  Découverte du rhésus

-   Apport de la génétique

 

2) L’approche philosophique

 -  Le monde grec note déjà que tout homme est potentiellement humain à condition d’être éduqué

-  Le monde judéo chrétien pose une fraternité « affective » entre les hommes.

-  L’humanisme rationnel montre que toute moralité a pour condition la communauté des êtres raisonnables, et qu’il y a, comme le dit Sartre  une communauté de condition humaine. Montaigne, avant les connaissances scientifiques, avançait de façon certaine, par le seul bon sens  que " les hommes sont tous d'une même espèce" Les essais I, 14

 

3) L’ambiguïté de l'humanisme

-  L'humanisme est fondé sur l'idée d'une conception universelle de l'humain : sur son historicité, son évolution. L'homme se fait, contrairement à l'animal, cf. Rousseau, et déjà Pic de la Mirandole qui dans De la dignité de l'homme, rappelle le mythe de Protagoras pour montrer que l'homme se fait.

Le corollaire de cette conception est un lien entre évolution, progrès, et humanité. L'inversion est rapide : les non évolués ne sont pas humains au même titre, ou au mieux doivent être élevés à l'humanité par d'autres, c'est le sens du discours de Jules Ferry (que combattra Clémenceau). Il faudra l'ethnologie pour comprendre qu'il s'agit non pas de hiérarchie mais d'un conflit de valeurs, il y a des sociétés traditionnelles pour lesquelles c'est le passé qui fait valeur.

 Il y a donc, à l'intérieur même des différentes cultures, une question concernant leurs valeurs respectives.

Texte annexe

 

 

III/ LA QUESTION DE LA VALEUR DES CULTURES

 

 A) La question de la valeur des cultures par rapport à la nature

 

 Etrangement la considération de la nature est ambivalente à l’égard de la culture, comme on l’a vu la référence à la nature sert à rejeter les autres cultures, mais un autre mouvement consiste à juger les comportements culturels en fonctions d’une nature fantasmée, à considérer que la nature pourrait constituer un modèle.

 

 

  1. La nature fantasmée pour juger le comportement

 

- Injonction antique d’une vie « conforme à la nature :   Naïveté de cette représentation de la nature : Nietzsche : profonde indifférence et cruauté de la nature :   « imaginez l’indifférence même muée en puissance » Par-delà le bien et le mal (partie I §9)

 

On peut cependant comprendre que la nature puisse servir de garde-fou moral : Rousseau comme Montaigne, nient justement la totale indifférence de la nature. Les deux auteurs reconnaissent une sensibilité que justement la culture a parfois le tort d’étouffer

Condamnation plus moderne de ce qui serait « contre nature »

 Considération d’un mode de vie « naturel »

·         Opposé  à un mode de vie sophistiqué

·         Opposé à un comportement qui choque un modèle social établi (Cf. l’homosexualité présentée comme contre-nature)

·           Opposé  au raffinement, à la décadence, à l’affectation

 

Bénéfice de l’idée de nature exploitée ainsi : permet de passer du « cela me déplait » à « il ne devrait pas en être ainsi ».

 

Condamnation paradoxale, parce qu’aucun comportement humain n’est « naturel », dire par exemple à un enfant « sois naturel » est ce qu’on appelle une injonction paradoxale. Dénoncer l’affectation c’est paradoxalement dénoncer un comportement qui consiste à prétendre qu’un acte ou un comportement est « naturel ».

 Conclusion partielle : La nature n’est pas un concept qui permet de comprendre, c’est un concept qui est le produit du désir humain. Comme le dit Clément Rosset : « La Nature est une idée du désir, pas de la raison »

 

Il n’en reste pas moins que ce fantasme naturaliste a aussi servi de référent pour juger les rapports humains, les hiérarchies et la politique.

 

 

 

2)  constat de l’exploitation de la nature comme modèle

 

·         Ancienneté de l’axiologie

La plus ancienne forme est celle de la « loi du plus fort » considérée comme naturelle, et pervertie par l’homme : « Mais la nature elle-même, d'après moi, nous prouve qu'en bonne justice celui qui vaut plus doit l'emporter sur celui qui vaut moins » le Gorgias (483a)

·         Exploitation du Darwinisme par une idéologie libérale :

Discours sur la nécessité d’un état qui se limite à des fonctions régalienne pour que se joue, dans l’ordre économique, une régulation analogue à celle qui se joue dans la nature : seuls les plus adaptés survivent : « L’égalité doit se limiter aux garanties juridiques, car l’inégalité et la sélection du plus apte, avec leur corollaire, l’inégalité économique, sont une loi de la nature » WG Summer (disciple de Spencer 1883)

 

 

3) Invalidation Darwinienne de la sociobiologie

Le modèle Spencérien ne retient que la mutation comme principe de sélection. Or le comportement est lui-même également sélectionné. Le comportement qui consiste à préserver les plus faibles et à ne pas laisser la seule sélection naturelle présente lui-même un avantage évolutif (avantage analogue à l’entraide dans une meute).

 ·         Avantage en termes d’invention (Ce n’est pas le plus fort lanceur qui inventera la fronde)

 ·         Avantage structurel : Un groupe solidaire peut avoir une meilleure chance de survie qu’un groupe déchiré par des luttes constantes et des rivalités.

«  La sélection naturelle sélectionne la civilisation qui contrarie la sélection naturelle » Patrick Tort Darwin et la science de l’évolution.

Transition 1 : Prendre la nature comme modèle ne se limite pas au seul domaine politique, on peut observer la tendance à prendre la nature comme modèle social généralisé

 Transition 2 : Tentative donc, de compréhension de la nature, non par elle-même, mais par rapport à un contraire qu’on pourrait déterminer : la culture

 

Conclusion partielle : s’il faut juger les culture - il faut chercher ce critère dans les cultures elles-mêmes, et non dans un référent transcendant (forcément culturellement produit) ni immanent (fantasmé comme nous l’avons vu)

 

 

 

B) Tentatives de jugement

 

 

1)      La position sceptique et sa critique 

 

Le relativisme moral en matière de culture semble le plus correct logiquement : comment juger une culture si ce n'est à partir de la sienne ? Et en fonction de critères eux-mêmes culturels   « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de ses coutumes » Montaigne Essais, I, 31

Si on ne peut reprocher à une culture d’avoir des valeurs, des croyances et des traditions différentes on peut peut-être exiger d’elles un rapport critique à ces éléments culturels, et d’abord d’en connaître le caractère relatif.

Il s’agit certes alors de promouvoir une valeur, la vérité, et une vertu, la lucidité, mais ce sont celles qui sont la condition de tout jugement. Il ne s’agit donc pas de promouvoir des valeurs mais l’esprit critique. TEXTE 4

C’est dans cet esprit que Montaigne juge beaucoup plus sévèrement ceux de sa civilisation que les cannibales. Il ne défend pas les cannibales au nom d’un relativisme culturel, il condamne les européens au nom de leur incapacité à comprendre le caractère douteux de leurs propre croyance, et pour leur cruauté : ils n’ont rien de certain, que des conjectures, et ils se permettent au nom de cela de torturer un homme à mort : “c’est mettre ses conjectures à bien haut prix que d’en brûler un homme tout vif” Essais, III, 11

On peut noter que Montaigne, hors le critère épistémologique, se sert d’un critère qu’il considère comme “naturel” : la haine de la cruauté : c’est “par nature et par jugement” que Montaigne dit haïr la cruauté

 

 

2) La considération de l’humain condition du respect des cultures

Le respect des cultures ne peut être considéré comme un impératif plus général : la reconnaissance de l’autre. Le critère peut même être dérivé d’une des formulations de l’impératif moral kantien : celui qui consiste à toujours considérer autrui toujours en même temps comme une fin, et jamais seulement comme un moyen.

 Il serait en conséquence contradictoire de demander une tolérance à l’égard de pratiques culturelles qui impliqueraient la négation de l’humain, comme l’esclavage ou les mutilations rituelles : en somme le respect que j'ai de la culture de l'autre n'est qu'une conséquence du respect que je dois (dans la mesure où c'est le cas) à tout humain. Je ne peux donc respecter une pratique culturelle qui implique le non respect de l'intégrité de l'humain (comme l'esclavage, la flagellation des femmes ou leur excision).

 

 

C) Qu’est-ce qu’être cultivé ? Et que vaut cet impératif ?

 

Au moins trois sens de l’expression : un sens anthropologique qui oppose l’homme aux autres animaux en tant justement, qu’il n’est lui-même que par la culture. Sens déjà étudié

 Un sens sociologique, en tant que l’homme subit une culture, qu’il en est le produit.

 Un sens humaniste. Ce sont ces deux sens qu’il faudrait étudier.

 

1)      Les soupçons sociologiques

 

Le soupçon majeur à l’égard de la culture comme développement de l’humain c’est celui d’inauthenticité qui peut lui-même prendre plusieurs formes : Instrumentalisation de la culture à des fins de sélection sociale, et à des fins de promotion personnelle narcissique

 Toute société produit des élites qui cherchent elles-mêmes à défendre leurs intérêts de classe et à se reproduire : les formes de la culture constituent à ce titre des éléments de distinction dont la fonction est de permettre cette reproduction : « la pratique culturelle sert à différencier les classes et les fractions de classe, donc à justifier la domination des unes sur les autres. » Bourdieu

 A cette critique d’une instrumentalisation peut s’associer la critique d’une culture recherchée à seule fin de se valoriser soi-même, c’est cela qu’on peut appeler le snobisme culturel TEXTE 6  «  la culture a acquis une valeur de snobisme et où c’est devenu une affaire de position sociale que d’être assez éduqué pour apprécier la culture »  La crise de la culture (p 254).  Cette réduction de la culture au seul fait d’être « distingué » caractérise ce qu’H. Arendt nomme « le philistin cultivé », la culture devenue produit de masse se vide de toute substance et l’idéal humaniste se perd dans « une sphère de conversation raffinée » où il perd toute signification.

 

Ces critiques nourrissent un certain nombre d’attaques contre la culture, qui se joignent à des critiques plus classiques, qui séparent, parfois à juste titre, la culture et l’intelligence, la culture et la moralité. Cette dernière distinction a trouvé une terrible illustration dans la séduction qu’ont su exercer fascisme et nazisme sur les populations les plus cultivés d’Europe. Mais Kant prévenait déjà contre la confusion entre moralité, culture et civilité : « Nous sommes cultivés à un haut niveau par l'art et la science. Nous sommes civilisés, jusqu'à en être accablés, par la courtoisie et les convenances sociales de toutes sortes. Mais se tenir déjà pour moralisés, il s'en faut encore de beaucoup » Kant Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, Proposition 7

 

 

 

2) La culture humaniste

 

Il y a toujours un soupçon de snobisme ou de volonté de distinction dans toute préoccupation culturelle, dont acte. Il serait cependant absurde de rejeter pour cela la valeur d’éléments culturels, aussi absurde que de rejeter toute ambition d’agir correctement parce que les intentions morales ne sont jamais bonnes de façon certaine.

 Hannah Arendt rappelle l’idéal romain de la cultura animi, « une personne cultivée devait être : quelqu’un qui sait choisir ses compagnons parmi les hommes, les choses, les pensées, dans le présent comme dans le passé » La crise de la culture p.288. Pour cela il faut rappeler la nécessité d’une fréquentation des œuvres, l’élaboration d’un véritable esprit critique qui ne s’inverse pas en sa caricature : la suspicion envers toutes les productions de l’esprit.

 Même lorsque Kant critique la seule culture des arts et des sciences, il le fait au nom d’une authentique culture de soi : « un lent effort de formation intérieure du mode de penser ».