LE TEMPS

 

 

 

I/ UNE VARIATION SUBJECTIVE

 

 

 

A/ En fonction de l'affectivité.

 

 

 

 

 

Selon l'intensité, contraction ou dilatation pos. du temps. La chrono-psychologie distingue 3 lois de perception du temps:  La première loi constate des variations en fonction du morcellement du temps: Plus une activité est morcelée, plus elle paraît durer longtemps: Une activité répétitive et sans motivation ( comme le travail à la chaîne) paraît durer beaucoup plus longtemps qu'un travail créatif. La deuxième montre que plus une activité est intéressante, plus elle paraît brève: Le temps de la distraction semble plus court que le temps de travail ennuyeux: L'intérêt pour une tâche ou une action lui donne une unité qui fait que la temporalité se contracte. La troisième loi montre que le temps avant une épreuve ou une satisfaction paraît toujours plus long. L'attente est une dilatation psychologique du temps.

 

 

 

B/ En fonction de l’âge

 

 

 

Subj. Changement de rapport au temps avec l'âge ; Le temps s'écoule plus vite ; déclin de capacité de fixation de la mémoire.

 

 

Obj. Guerre de 14 18 Mesure de la vitesse de cicatrisation d'une plaie en fonction de sa grandeur. et de l'age Observation: l'activité réparatrice des tissus est 5 fois plus grande à 10 ans qu'à 60 ans  =>1 cicatrise guérira en 10j chez un enfant de 10 ans en 3.5 mois chez un homme de 60 ans En 1 heure un enfant de 10 ans vit Psycho ce que vit un homme de 60 ans en 5 heures.  "Au cours de soixante minutes du temps de nos horloges, un enfant a vécu, physiologiquement et psychologiquement autant qu'un homme de soixante ans en cinq heures." Lecomte du Noüy, Entre croire et savoir, Hermann, p.298.

 Cependant exprime décalage par rapport au temps objectif. Ces considérations expriment la relativité du temps; ne permettent pas définir ce qu'est le temps

TEXTE 1

 

 

 

 

II/ LE TEMPS OJBET POSSIBLE ?

 

 

 

Intro : Difficulté à cerner le temps

 

On ne peut se placer en dehors du temps: "On ne peut pas vraiment parler du temps puisqu'on met du temps à parler et même à penser " Le temps est à la fois dedans et dehors, donc il n'est pas objet." Jankélévitch Entretiens . On sait que le temps existe mais on ne peut articuler cette question: "Qu'est-ce que le temps, si personne ne me le demande je le sais, Si je veux l'expliquer à quelqu'un qui me le demande , je l'ignore." St Augustin, Confessions .XI 14

 

 

 

A) La réalité ou l'idéalité du temps

 

1) L’idéalisme transcendantal

 

L’homme peut connaître les lois du temps de façon complètement a priori, indépendamment de toute expérience : ce n’est pas l’expérience par exemple qui me permet de dire qu’un même objet ne peut être en deux endroits en même temps.  Kant en conclut que le temps n’est qu’une forme a priori de la sensibilité, une condition subjective de la représentation des objets.  Sartre aura une conclusion analogue : « le temps est un pur néant en soi, qui ne peut sembler avoir un être que par l’acte dans lequel le Pour-soi le franchit pour l’utiliser » Sartre L’être et le Néant, II, chap.3 §4.

 

 

2) La réalité du présent

 

 

 Cependant comme le dit Desanti dans son introduction à la phénoménologie :

“ l’Ego ne peut tirer son origine du temps et être au même moment l’origine du temps.”

ou comme le dit Comte Sponville : l"Si le temps ne vient au monde que par nous, comment aurions-nous pu y advenir" Temps et être. .  

On peut reprocher à la conception idéaliste de Kant son absolutisme : « le temps n’est pas inhérent aux objets eux-mêmes, mais simplement au sujet qui les intuitionne » Kant, “ Comte Sponville répond « Le simplement est de trop.”. Autrement dit, ce n’est pas parce que l’homme a en lui les lois a priori concernant le temps que le temps réel est inexistant.  TEXTE 2

  

 

 

B/ Le temps, donnée physique et représentations psychologiques 

 

 

Une confusion peut être faite entre le temps et le devenir Distinction à effectuer entre le cours du temps et ce qui se passe dans le temps, entre le temps et le devenir.

 

Nécessité de cette distinction : il existe des réalités qui ont un âge, dont on peut mesurer la durée entre leur naissance et leur présent, mais dont la destruction est indépendante de leur âge : les atomes irradiés qui peuvent être détruits un dixième de seconde ou un siècle après leur naissance de façon totalement aléatoire.

 

La distinction apparaît facilement avec l’attention :   "Le temps passe, le temps passe, Madame... Las! Le temps, non; c'est nous qui passons." Ronsard

 

Problème : Le temps a-t-il une réalité en dehors de l’homme qui le perçoit, de ce qui la mesure :  « La question est embarrassante de savoir si, sans l’âme, le temps existerait ou non » Aristote, physique IV, 12, 220b »

 

 

 

La complexité de la mesure scientifique

 

Newton pensait une existence du temps indépendante de tout évènement, dans sa physique le temps représente une constante invariable, c'est, entre autres choses, ce que la théorie relativiste est venue bouleverser. Deux choses font varier la mesure du temps : la masse et la vitesse. Deux horloges atomiques placées à des altitudes différentes, subiront une force gravitationnelle différente et ne donneront pas la même mesure du temps. Comme le dit Carlo Rovelli :  « Il n’y a pas d’ordre global du temps »

En revanche, une réalité physique illustre une caractéristiqque fondamentale du temps : l'irréversibilité. On peut aller d'avant en arrière dans le temps, pas dans l'espace.  Tel est le second principe de la thermodynamique (le premier est la conservation de l'énergie dans un système fermé) l'entropie, la dispersion de l'énergie, et la tendance au desordre: un morceau de sucre dissous dans l'eau ne reviendra jamais à sa forme initiale.

 

 

 Entre le temps et ses représentations psychologiques 

 

 

Les représentations les plus classiques sont des spatialisations du temps

 «  Le temps ne se montre que nié » Marcel Conche, Temps et Destin. Le temps vécu est radicalement différent de ce que laisse entendre la compréhension mathématique du temps, et sa mesure. Le temps mathématique convient à notre intelligence, pas à notre vécu.  L'horloge, la ligne laissent apparaître l'impression d'une discontinuité possible dans la succession (et même d'une réversibilité, comme toutes les équations de Newton), mais la mesure du temps n'est pas plus une durée vécue qu'une partition n'est une musique jouée. « Nous ne pensons pas le temps réel. Mais nous le vivons, parce que la vie déborde l’intelligence. »

L’évolution créatrice  TEXTE 3

C'est cette radicale nouveauté qui s'inscrit dans la durée que Bergson veut tenter de saisir, il oppose la juxtaposition des temps successifs, à la fusion du passé dans le présent tendu vers un avenir qui caractérise le vivant et surtout le vivant conscient. On pourrait même parler d'une forme de néguentropie du vivant. Penser le temps c'est le réduire à de l'espace mesurable, le vivre c'est expérimenter en soi une création continue ( plus ou moins intense) de soi par soi :  « pour un être conscient, exister consiste à changer, changer à se mûrir, se mûrir à se créer indéfiniment soi-même. » L’évolution créatrice 

 

On peut constater que le temps s'inscrit dans un rapport de l'homme au monde et à lui-même, et que c'est ce rapport qu'il faut avant tout interroger.

 

 

 

III LA TEMPORALITE ET L'EXISTENCE

 

 

 

Il ne s’agit plus de considérer ce qu’est le temps mais la façon dont l’homme le vit et se le représente.

 

 

A) Les représentations culturelles

 

La formule d'Aristote semble montrer une conception anthropomorphe du temps, capable de dégrader les choses comme les êtres "Le temps est en soi plutôt cause de destruction puisqu'il est nombre du mouvement et que le mouvement défait ce qui est" Aristote:." Physique " " IV. (Le rapprochement avec l'entropie est possible mais audacieux) Il existe cependant des peuples pour lesquels  le temps ne représente pas un fleuve mais le constant retour du même : Sociétés non historiques rythmées par des cérémonies de régénérescence et une participation à l'être qui évite la destruction; la désagrégation par le temps. Dans ces sociétés, rien n'est jamais irrémédiablement perdu car tout est référé à une éternité signifiante. cf. le constat que fait Eliade sur la façon dont les sociétés tribales considèrent leur action «  n'importe qu'elle action humaine acquiert son efficacité dans la mesure où elle répète exactement une action accomplie au commencement des temps par un Dieu, un ancêtre ou un héros." Mircéa Eliade: Le mythe de l'éternel retour. (Pour Philippe Descola cette représentation ne serait typique que de certaines sociétés, de type analogique, comme en Chine traditionnelle ou au Mexique)

 

Au contraire dans la représentation occidentale chaque moment est irrémédiablement perdu, la ligne ne se parcourt que dans un sens.

 

 

B)   La conscience malheureuse et le divertissement

 

 

 

1)  La difficulté de la prise de conscience de la mort

 

Ce n'est surtout pas le constat de la mort comme phénomène naturel qui permet de considérer la réalité de la mort :

 

« On meurt, mais à chaque fois ce n'est justement pas moi. » Heidegger: L'Etre et le temps in Qu'est-ce que la métaphysique .Ce ne serait pas non plus la première personne, qui demeure dans l'urgence par la proximité. Ce n'est que la seconde personne qui "offre" à la fois la plus grand proximité et la distance nécessaire pour une appréhension authentique de la mort. C'est ce que montre même la première œuvre littéraire connue : L'épopée de Gilgamesh -18 siècles avant notre ère. Le héros qui a affronté la mort au combat est détruit par la mort d'Enkidu, mais c'est là aussi que naît son angoisse face à sa propre mort.

 

2)  La tentative de fuite :

 

Pascal constate, avec la tradition, que l'homme ne prend pas suffisamment en compte la brièveté de la vie. Il semble, comme Sénèque, reprocher à l'homme d'être attaché à des affaires de peu d'importance et de ne pas prendre la mesure du temps qui lui est imparti, de ne pas être au présent. Combien de gens ont dilapidé ta vie sans que tu t'aperçoives de ce que tu perdais, tout ce que t'ont soustrait vaines douleurs, (…) avide cupidité, flatteries du bavardage, et vois combien il te reste peu de ce qui t’a appartenu : Sénèque, de la brieveté de la vie  Mais Pascal prend le contrepied de la tradition : il trouve une raison à ce comportement étrange qui consiste à toujours se préoccuper d'un avenir immédiat, à courir après des occupations diverses, à s'affairer : Le présent nous blesse car il pose sur chaque chose le constat de l'éphémère: " nous le cachons à notre vue parce qu'il nous afflige; et s'il nous est agréable nous regrettons   le voir échapper" Pascal: ." Pensées " 172. C'est bien ce que Pascal appelle le divertissement la fuite inauthentique du présent et de la signification tragique qu'il représente pour nous : La prise de conscience de la condition humaine est douloureuse "le dernier acte est sanglant quelque belle que soit la comédie en tout le reste" ibid.210    Les réaction à cette prise de conscience de la tragédie temporelle peuvent être diverses :

 

 

 

C) La recherche d'une acceptation

 

 

 

1 ) La quête d'une alternative  l'Eternité

 

Référence à une éternité qui ne serait pas celle du présent, à une éternité qui serait une alternative au temps  "L'Eternité diffère du temps parce qu'elle est toute à la fois, tandis que le temps est succession, et non pas en ce que l'éternité serait un temps sans commencement ni fin." St Thomas

 

- Cette référence peut s'assimiler à une recherche intellectuelle.

 

Opposition de la fragilité ontologique du monde sensible à un autre monde. " l'essence que nous définissons par l'être véritable est-elle : toujours la même et de la même façon , ou tantôt d'une façon, tantôt de l'autre ?" Platon: " Phédon " 65 c.

 

- En conséquence le temps n'appartient pas au monde réel "Le temps est l'image mobile de l'éternité".  Timée. En conséquence il faut aller vers ce monde intemporel " Il faut s'enfuir d'ici", et le corps est un tombeau.

 

Prise en considération de la condition humaine.

 

- Elle prend cependant le plus souvent une forme religieuse, pour laquelle le Platonisme montrait déjà une tendance.

 

Chez Pascal l'absurdité de la condition humaine la crainte que provoque sa fragilité apporte la nécessité d'un Dieu seule alternative à la misère de cette condition. Seule la promesse chrétienne sauve de la mort, c'est ce que montre l'épisode de la résurrection de Lazare. La Bible, Jean 11:43

 

 

 

 

 

2) l'Acceptation tragique

 

Non le ressentiment contre le temps qui passe, mais l'acceptation du temps qui subsiste et du présent qui est.

 

Ce que nie le tragique, ce n'est pas le caractère destructeur du temps, ou la fragilité du bonheur, il nie que cette fragilité soit une objection au caractère heureux du bonheur: « peu importe que le bonheur soit fragile si sa fragilité est impensable"  Rosset " l'anti-nature " p.88

 

Le tragique affirme l'indépendance de la joie d'être au monde à l'égard de la perte du monde dans le temps: " l'amour du réel est indépendant de la mort du réel " ibid.

 

En somme le tragique assume authentiquement le temps et l'absence de sens qui en résulte mais n'en tire pas comme conséquence l'impossibilité de vivre, et de vivre heureux: Antiphrase de Pascal pensée 218: " Qu'importe que le dernier acte soit sanglant si la comédie est belle en tout le reste." ou comme le dit Montaigne à mesure que la possession du vivre est plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine." Montaigne, Essais, III, 13.  C'est également ce que Nietzsche nomme l'Amor Fati TEXTE 10

 

 

 

IV) L’IMPORTANCE DE L’EXISTENCE CONSCIENTE DE SA MORTALITÉ

 

 

 

 

 

A) La conscience d'une limite

 

 

 

1)  Un frein à l'égoïsme humain

 

 

 

Kant rappelle l'âpreté et l'égoïsme de l'homme qui le pousse à toujours vouloir davantage pour lui-même et confisquer pour son luxe ce qui serait nécessaire ses semblables. Il pose la question de ce que seraient les conséquences d'une vie beaucoup plus longue : les hommes auraient encore davantage tendance à vouloir préserver pour leur avenir une part plus importante de richesses et de privilèges. Et au lieu qu'on puisse ramener les puissants et les riches à la modestie de leur temps limité - "Souviens-toi que tu es mortel" devait toujours répéter un esclave à l'empereur triomphant- nous serions confronté à un amour égoïste sans limites.

 

 

 

 

 

2)  Un soulagement parfois

 

 

 

C'est tout le problème de l'euthanasie ou du suicide assisté : permettre la bonne mort plutôt qu'une vie qui serait considérée comme pénible ou dégradante par celui qui la vit :

 

"Le présent que Nature nous ait fait le plus favorable, et qui nous ôte tout moyen de nous plaindre de notre condition, c'est de nous avoir laissé la clé des champs (...). La vie dépend de la volonté d'autrui, la mort de la nôtre" Montaigne, Essais II, 3

 

 

 

3)  Le rythme de l'existence

 

Seule la pensée de la mort permet de considérer l’importance ou la frivolité des actes, de ne pas perdre son temps en mauvaises pensées : « Toi, pourtant, qui n'es pas de demain, tu ajournes la joie ; la vie périt par le délai, et chacun de nous meurt affairé". Epicure, sentence vaticane, 14). ­

 

- Cette pensée permet aussi à l’humain d’envisager le temps qu’il peut consacrer à certaines tâches : le fou fait construire un palais qui demandera plus de temps à être construit qu’il ne lui reste de temps à vivre : « à l'homme animé de sérieux, la pensée de la mort donne l'exacte vitesse à observer dans la vie, et elle lui indique le but où diriger sa course. » Kierkegaard, Sur une tombe. – TEXTE 8

 

 

 

 

 

 

 

B) La grandeur de l’homme

 

 

 

1) Son courage

 

Le courage une vertu à considérer avec méfiance : les homme les plus criminels peuvent ne pas manquer de courage. C'est aussi celle qui permet le mieux de manipuler les hommes en flattant leur orgueil.
Il reste que cette vertu n'est accessible pour l'homme que parce que la mort est son horizon. C'est ce qui d'ailleurs, remarque Hegel, est la première façon dont l'homme peut affirmer son humanité, par la négation de son animalité la plus primaire : le risque de sa vie  « C'est seulement par le risque de sa vie qu'on conserve sa liberté" Hegel, La phénoménologie de l’esprit  - Bien entendu cela doit être dépassé, trop souvent le guerrier capable de risquer sa vie se vautre dans la satisfaction brutale de tous ses plaisirs, le légionnaire romain finit dans les orgies de sa décadence, " Qui veut faire l'ange fait la bête" disait Montaigne. (cf. cour sur Autrui et cours sur Le travail).

 

- Dans un sens plus élaboré on peut dire que la mort consacre, parce que le risque est une consécration et que sans la mort on ne risque littéralement rien. C'est cette consécration que, selon Péguy le monde antique Grec refuse à ses dieux: ils manquent de cet accomplissement qu'est la mort " ils manquent d'un emplissement du seul accomplissement, de la seule plénitude. Ils ont un destin qui ne s'emplit pas " Charles Péguy , Clio  Seuls les hommes risquent leur vie, les dieux ne risquent rien. C'est peut-être ce qui fait d'Ulysse le héros le plus humain, c'est le seul à avoir refusé l'immortalité que lui offrait Calypso (au chant 5)

 

 

 

2) La détermination d'une quête possible  :

 

La conscience de la mort est une sorte de point par lequel l'homme peut envisager l'entièreté de son existence, c'est le point par lequel la question du sens se pose, d'où la légèreté de son oubli :

 

La pensée de la mort a la même valeur que l’ennui. Elle pousse alors à une méditation véritable : «  sans cela [le divertissement] nous serions dans l’ennui, et cet ennui nous pousserait à chercher un moyen d’en sortir. Mais le divertissement nous amuse, et nous fait arriver insensiblement à la mort » Pascal 171

 

Pour Arendt cette méditation ne doit pas demeurer une simple contemplation, mais elle doit au contraire amener à une action signifiante :   

 

Arendt critique la vie contemplative « Ce qui importe, c'est que l'expérience de l'éternel, par opposition à celle de l'immortalité, ne correspond et ne peut donner lieu à aucune activité. ». H. Arendt La condition de l’homme moderne. Elle parle de la vie active, qui serait centrée sur ce que Du Bellay appelait «  un honnête désir de l’immortalité », c'est-à-dire la préoccupation d’habiter un monde où les réalités survivraient, à l’homme : « Le devoir des mortels, et leur grandeur possible, résident dans leur capacité de produire de choses - œuvres, exploits et paroles - qui mériteraient d'appartenir et, au moins jusqu'à un certain point, appartiennent à la durée sans fin. » Ibid. TEXTE 9

 

 Il y a bien donc une grandeur de l’activité humaine qui s’inscrit dans la tragédie de sa mortalité, et qui le pousse à réaliser des œuvres qui lui survivent. Le divertissement risque de faire oublier cette quête, d’où l’effort de la pensée pour « sauver de l'oubli la quête d'immortalité qui avait été à l'origine le ressort essentiel de la vita activa. » ibid.

 

 

 

    

 

3) Sa dignité enfin

 

« Toute notre dignité consiste dans la pensée » Pascal 347 c'est-à-dire dans le fait qu’il est capable de témoigner du monde et de lui-même, donc de saisir sa condition.

 

C'est ce qui caractérise l'existence au sens propre qui implique une sortie de soi-même, un regard sur la vie que nous avons et que nous menons. (Cf. cours sur la conscience ). L'animal ne montre ni cette conscience de son existence ni son inquiétude pour l'avenir, il est "Attaché au piquet de l'instant" comme le dit Nietzsche dans la seconde de ses considérations inactuelles L'homme au contraire est préoccupé par le passé, le regret le remord (que Sartre nomme des néantités et Heidegger des existentiaux) ou l'avenir. Il ne se contente pas de vivre, il existe parce qu'il a conscience de vivre.

 

D’ailleurs c’est cela qui fait que l’homme serait plus noble, même que l’univers qui le tuerait «  car il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien » Pascal 347

 

On a vu que pour Pascal cela ne pouvait que nous laisser "inconsolables". C'est sans compter sur la possibilité d'une joie possible qui ne serait pas entachée par son caractère éphémère. TEXTE 10

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I/ UNE VARIATION SUBJECTIVE

 

 

 

A/ En fonction de l'affectivité.

 

 

 

 

 

Selon l'intensité, contraction ou dilatation pos. du temps. La chrono-psychologie distingue 3 lois de perception du temps:  La première loi constate des variations en fonction du morcellement du temps: Plus une activité est morcelée, plus elle paraît durer longtemps: Une activité répétitive et sans motivation ( comme le travail à la chaîne) paraît durer beaucoup plus longtemps qu'un travail créatif. La deuxième montre que plus une activité est intéressante, plus elle paraît brève: Le temps de la distraction semble plus court que le temps de travail ennuyeux: L'intérêt pour une tâche ou une action lui donne une unité qui fait que la temporalité se contracte. La troisième loi montre que le temps avant une épreuve ou une satisfaction paraît toujours plus long. L'attente est une dilatation psychologique du temps.

 

 

 

B/ En fonction de l’âge

 

 

 

Subj. Changement de rapport au temps avec l'âge ; Le temps s'écoule plus vite ; déclin de capacité de fixation de la mémoire.

 

 

Obj. Guerre de 14 18 Mesure de la vitesse de cicatrisation d'une plaie en fonction de sa grandeur. et de l'age Observation: l'activité réparatrice des tissus est 5 fois plus grande à 10 ans qu'à 60 ans  =>1 cicatrise guérira en 10j chez un enfant de 10 ans en 3.5 mois chez un homme de 60 ans En 1 heure un enfant de 10 ans vit Psycho ce que vit un homme de 60 ans en 5 heures.  "Au cours de soixante minutes du temps de nos horloges, un enfant a vécu, physiologiquement et psychologiquement autant qu'un homme de soixante ans en cinq heures." Lecomte du Noüy, Entre croire et savoir, Hermann, p.298.

 Cependant exprime décalage par rapport au temps objectif. Ces considérations expriment la relativité du temps; ne permettent pas définir ce qu'est le temps

TEXTE 1

 

 

 

 

II/ LE TEMPS OJBET POSSIBLE ?

 

 

 

Intro : Difficulté à cerner le temps

 

On ne peut se placer en dehors du temps: "On ne peut pas vraiment parler du temps puisqu'on met du temps à parler et même à penser " Le temps est à la fois dedans et dehors, donc il n'est pas objet." Jankélévitch Entretiens . On sait que le temps existe mais on ne peut articuler cette question: "Qu'est-ce que le temps, si personne ne me le demande je le sais, Si je veux l'expliquer à quelqu'un qui me le demande , je l'ignore." St Augustin, Confessions .XI 14

 

 

 

A) La réalité ou l'idéalité du temps

 

1) L’idéalisme transcendantal

 

L’homme peut connaître les lois du temps de façon complètement a priori, indépendamment de toute expérience : ce n’est pas l’expérience par exemple qui me permet de dire qu’un même objet ne peut être en deux endroits en même temps.  Kant en conclut que le temps n’est qu’une forme a priori de la sensibilité, une condition subjective de la représentation des objets.  Sartre aura une conclusion analogue : « le temps est un pur néant en soi, qui ne peut sembler avoir un être que par l’acte dans lequel le Pour-soi le franchit pour l’utiliser » Sartre L’être et le Néant, II, chap.3 §4.

 

 

2) La réalité du présent

 

 

 Cependant comme le dit Desanti dans son introduction à la phénoménologie :

“ l’Ego ne peut tirer son origine du temps et être au même moment l’origine du temps.”

ou comme le dit Comte Sponville : l"Si le temps ne vient au monde que par nous, comment aurions-nous pu y advenir" Temps et être. .  

On peut reprocher à la conception idéaliste de Kant son absolutisme : « le temps n’est pas inhérent aux objets eux-mêmes, mais simplement au sujet qui les intuitionne » Kant, “ Comte Sponville répond « Le simplement est de trop.”. Autrement dit, ce n’est pas parce que l’homme a en lui les lois a priori concernant le temps que le temps réel est inexistant.  TEXTE 2

  

 

 

B/ Le temps, donnée physique et représentations psychologiques 

 

 

Une confusion peut être faite entre le temps et le devenir Distinction à effectuer entre le cours du temps et ce qui se passe dans le temps, entre le temps et le devenir.

 

Nécessité de cette distinction : il existe des réalités qui ont un âge, dont on peut mesurer la durée entre leur naissance et leur présent, mais dont la destruction est indépendante de leur âge : les atomes irradiés qui peuvent être détruits un dixième de seconde ou un siècle après leur naissance de façon totalement aléatoire.

 

La distinction apparaît facilement avec l’attention :   "Le temps passe, le temps passe, Madame... Las! Le temps, non; c'est nous qui passons." Ronsard

 

Problème : Le temps a-t-il une réalité en dehors de l’homme qui le perçoit, de ce qui la mesure :  « La question est embarrassante de savoir si, sans l’âme, le temps existerait ou non » Aristote, physique IV, 12, 220b »

 

 

 

La complexité de la mesure scientifique

 

Newton pensait une existence du temps indépendante de tout évènement, dans sa physique le temps représente une constante invariable, c'est, entre autres choses, ce que la théorie relativiste est venue bouleverser. Deux choses font varier la mesure du temps : la masse et la vitesse. Deux horloges atomiques placées à des altitudes différentes, subiront une force gravitationnelle différente et ne donneront pas la même mesure du temps. Comme le dit Carlo Rovelli :  « Il n’y a pas d’ordre global du temps »

En revanche, une réalité physique illustre une caractéristiqque fondamentale du temps : l'irréversibilité. On peut aller d'avant en arrière dans le temps, pas dans l'espace.  Tel est le second principe de la thermodynamique (le premier est la conservation de l'énergie dans un système fermé) l'entropie, la dispersion de l'énergie, et la tendance au desordre: un morceau de sucre dissous dans l'eau ne reviendra jamais à sa forme initiale.

 

 

 Entre le temps et ses représentations psychologiques 

 

 

Les représentations les plus classiques sont des spatialisations du temps

 «  Le temps ne se montre que nié » Marcel Conche, Temps et Destin. Le temps vécu est radicalement différent de ce que laisse entendre la compréhension mathématique du temps, et sa mesure. Le temps mathématique convient à notre intelligence, pas à notre vécu.  L'horloge, la ligne laissent apparaître l'impression d'une discontinuité possible dans la succession (et même d'une réversibilité, comme toutes les équations de Newton), mais la mesure du temps n'est pas plus une durée vécue qu'une partition n'est une musique jouée. « Nous ne pensons pas le temps réel. Mais nous le vivons, parce que la vie déborde l’intelligence. »

L’évolution créatrice  TEXTE 3

C'est cette radicale nouveauté qui s'inscrit dans la durée que Bergson veut tenter de saisir, il oppose la juxtaposition des temps successifs, à la fusion du passé dans le présent tendu vers un avenir qui caractérise le vivant et surtout le vivant conscient. On pourrait même parler d'une forme de néguentropie du vivant. Penser le temps c'est le réduire à de l'espace mesurable, le vivre c'est expérimenter en soi une création continue ( plus ou moins intense) de soi par soi :  « pour un être conscient, exister consiste à changer, changer à se mûrir, se mûrir à se créer indéfiniment soi-même. » L’évolution créatrice 

 

On peut constater que le temps s'inscrit dans un rapport de l'homme au monde et à lui-même, et que c'est ce rapport qu'il faut avant tout interroger.

 

 

 

III LA TEMPORALITE ET L'EXISTENCE

 

 

 

Il ne s’agit plus de considérer ce qu’est le temps mais la façon dont l’homme le vit et se le représente.

 

 

A) Les représentations culturelles

 

La formule d'Aristote semble montrer une conception anthropomorphe du temps, capable de dégrader les choses comme les êtres "Le temps est en soi plutôt cause de destruction puisqu'il est nombre du mouvement et que le mouvement défait ce qui est" Aristote:." Physique " " IV. (Le rapprochement avec l'entropie est possible mais audacieux) Il existe cependant des peuples pour lesquels  le temps ne représente pas un fleuve mais le constant retour du même : Sociétés non historiques rythmées par des cérémonies de régénérescence et une participation à l'être qui évite la destruction; la désagrégation par le temps. Dans ces sociétés, rien n'est jamais irrémédiablement perdu car tout est référé à une éternité signifiante. cf. le constat que fait Eliade sur la façon dont les sociétés tribales considèrent leur action «  n'importe qu'elle action humaine acquiert son efficacité dans la mesure où elle répète exactement une action accomplie au commencement des temps par un Dieu, un ancêtre ou un héros." Mircéa Eliade: Le mythe de l'éternel retour. (Pour Philippe Descola cette représentation ne serait typique que de certaines sociétés, de type analogique, comme en Chine traditionnelle ou au Mexique)

 

Au contraire dans la représentation occidentale chaque moment est irrémédiablement perdu, la ligne ne se parcourt que dans un sens.

 

 

B)   La conscience malheureuse et le divertissement

 

 

 

1)  La difficulté de la prise de conscience de la mort

 

Ce n'est surtout pas le constat de la mort comme phénomène naturel qui permet de considérer la réalité de la mort :

 

« On meurt, mais à chaque fois ce n'est justement pas moi. » Heidegger: L'Etre et le temps in Qu'est-ce que la métaphysique .Ce ne serait pas non plus la première personne, qui demeure dans l'urgence par la proximité. Ce n'est que la seconde personne qui "offre" à la fois la plus grand proximité et la distance nécessaire pour une appréhension authentique de la mort. C'est ce que montre même la première œuvre littéraire connue : L'épopée de Gilgamesh -18 siècles avant notre ère. Le héros qui a affronté la mort au combat est détruit par la mort d'Enkidu, mais c'est là aussi que naît son angoisse face à sa propre mort.

 

2)  La tentative de fuite :

 

Pascal constate, avec la tradition, que l'homme ne prend pas suffisamment en compte la brièveté de la vie. Il semble, comme Sénèque, reprocher à l'homme d'être attaché à des affaires de peu d'importance et de ne pas prendre la mesure du temps qui lui est imparti, de ne pas être au présent. Combien de gens ont dilapidé ta vie sans que tu t'aperçoives de ce que tu perdais, tout ce que t'ont soustrait vaines douleurs, (…) avide cupidité, flatteries du bavardage, et vois combien il te reste peu de ce qui t’a appartenu : Sénèque, de la brieveté de la vie  Mais Pascal prend le contrepied de la tradition : il trouve une raison à ce comportement étrange qui consiste à toujours se préoccuper d'un avenir immédiat, à courir après des occupations diverses, à s'affairer : Le présent nous blesse car il pose sur chaque chose le constat de l'éphémère: " nous le cachons à notre vue parce qu'il nous afflige; et s'il nous est agréable nous regrettons   le voir échapper" Pascal: ." Pensées " 172. C'est bien ce que Pascal appelle le divertissement la fuite inauthentique du présent et de la signification tragique qu'il représente pour nous : La prise de conscience de la condition humaine est douloureuse "le dernier acte est sanglant quelque belle que soit la comédie en tout le reste" ibid.210    Les réaction à cette prise de conscience de la tragédie temporelle peuvent être diverses :

 

 

 

C) La recherche d'une acceptation

 

 

 

1 ) La quête d'une alternative  l'Eternité

 

Référence à une éternité qui ne serait pas celle du présent, à une éternité qui serait une alternative au temps  "L'Eternité diffère du temps parce qu'elle est toute à la fois, tandis que le temps est succession, et non pas en ce que l'éternité serait un temps sans commencement ni fin." St Thomas

 

- Cette référence peut s'assimiler à une recherche intellectuelle.

 

Opposition de la fragilité ontologique du monde sensible à un autre monde. " l'essence que nous définissons par l'être véritable est-elle : toujours la même et de la même façon , ou tantôt d'une façon, tantôt de l'autre ?" Platon: " Phédon " 65 c.

 

- En conséquence le temps n'appartient pas au monde réel "Le temps est l'image mobile de l'éternité".  Timée. En conséquence il faut aller vers ce monde intemporel " Il faut s'enfuir d'ici", et le corps est un tombeau.

 

Prise en considération de la condition humaine.

 

- Elle prend cependant le plus souvent une forme religieuse, pour laquelle le Platonisme montrait déjà une tendance.

 

Chez Pascal l'absurdité de la condition humaine la crainte que provoque sa fragilité apporte la nécessité d'un Dieu seule alternative à la misère de cette condition. Seule la promesse chrétienne sauve de la mort, c'est ce que montre l'épisode de la résurrection de Lazare. La Bible, Jean 11:43

 

 

 

 

 

2) l'Acceptation tragique

 

Non le ressentiment contre le temps qui passe, mais l'acceptation du temps qui subsiste et du présent qui est.

 

Ce que nie le tragique, ce n'est pas le caractère destructeur du temps, ou la fragilité du bonheur, il nie que cette fragilité soit une objection au caractère heureux du bonheur: « peu importe que le bonheur soit fragile si sa fragilité est impensable"  Rosset " l'anti-nature " p.88

 

Le tragique affirme l'indépendance de la joie d'être au monde à l'égard de la perte du monde dans le temps: " l'amour du réel est indépendant de la mort du réel " ibid.

 

En somme le tragique assume authentiquement le temps et l'absence de sens qui en résulte mais n'en tire pas comme conséquence l'impossibilité de vivre, et de vivre heureux: Antiphrase de Pascal pensée 218: " Qu'importe que le dernier acte soit sanglant si la comédie est belle en tout le reste." ou comme le dit Montaigne à mesure que la possession du vivre est plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine." Montaigne, Essais, III, 13.  C'est également ce que Nietzsche nomme l'Amor Fati TEXTE 10

 

 

 

IV) L’IMPORTANCE DE L’EXISTENCE CONSCIENTE DE SA MORTALITÉ

 

 

 

 

 

A) La conscience d'une limite

 

 

 

1)  Un frein à l'égoïsme humain

 

 

 

Kant rappelle l'âpreté et l'égoïsme de l'homme qui le pousse à toujours vouloir davantage pour lui-même et confisquer pour son luxe ce qui serait nécessaire ses semblables. Il pose la question de ce que seraient les conséquences d'une vie beaucoup plus longue : les hommes auraient encore davantage tendance à vouloir préserver pour leur avenir une part plus importante de richesses et de privilèges. Et au lieu qu'on puisse ramener les puissants et les riches à la modestie de leur temps limité - "Souviens-toi que tu es mortel" devait toujours répéter un esclave à l'empereur triomphant- nous serions confronté à un amour égoïste sans limites.

 

 

 

 

 

2)  Un soulagement parfois

 

 

 

C'est tout le problème de l'euthanasie ou du suicide assisté : permettre la bonne mort plutôt qu'une vie qui serait considérée comme pénible ou dégradante par celui qui la vit :

 

"Le présent que Nature nous ait fait le plus favorable, et qui nous ôte tout moyen de nous plaindre de notre condition, c'est de nous avoir laissé la clé des champs (...). La vie dépend de la volonté d'autrui, la mort de la nôtre" Montaigne, Essais II, 3

 

 

 

3)  Le rythme de l'existence

 

Seule la pensée de la mort permet de considérer l’importance ou la frivolité des actes, de ne pas perdre son temps en mauvaises pensées : « Toi, pourtant, qui n'es pas de demain, tu ajournes la joie ; la vie périt par le délai, et chacun de nous meurt affairé". Epicure, sentence vaticane, 14). ­

 

- Cette pensée permet aussi à l’humain d’envisager le temps qu’il peut consacrer à certaines tâches : le fou fait construire un palais qui demandera plus de temps à être construit qu’il ne lui reste de temps à vivre : « à l'homme animé de sérieux, la pensée de la mort donne l'exacte vitesse à observer dans la vie, et elle lui indique le but où diriger sa course. » Kierkegaard, Sur une tombe. – TEXTE 8

 

 

 

 

 

 

 

B) La grandeur de l’homme

 

 

 

1) Son courage

 

Le courage une vertu à considérer avec méfiance : les homme les plus criminels peuvent ne pas manquer de courage. C'est aussi celle qui permet le mieux de manipuler les hommes en flattant leur orgueil.
Il reste que cette vertu n'est accessible pour l'homme que parce que la mort est son horizon. C'est ce qui d'ailleurs, remarque Hegel, est la première façon dont l'homme peut affirmer son humanité, par la négation de son animalité la plus primaire : le risque de sa vie  « C'est seulement par le risque de sa vie qu'on conserve sa liberté" Hegel, La phénoménologie de l’esprit  - Bien entendu cela doit être dépassé, trop souvent le guerrier capable de risquer sa vie se vautre dans la satisfaction brutale de tous ses plaisirs, le légionnaire romain finit dans les orgies de sa décadence, " Qui veut faire l'ange fait la bête" disait Montaigne. (cf. cour sur Autrui et cours sur Le travail).

 

- Dans un sens plus élaboré on peut dire que la mort consacre, parce que le risque est une consécration et que sans la mort on ne risque littéralement rien. C'est cette consécration que, selon Péguy le monde antique Grec refuse à ses dieux: ils manquent de cet accomplissement qu'est la mort " ils manquent d'un emplissement du seul accomplissement, de la seule plénitude. Ils ont un destin qui ne s'emplit pas " Charles Péguy , Clio  Seuls les hommes risquent leur vie, les dieux ne risquent rien. C'est peut-être ce qui fait d'Ulysse le héros le plus humain, c'est le seul à avoir refusé l'immortalité que lui offrait Calypso (au chant 5)

 

 

 

2) La détermination d'une quête possible  :

 

La conscience de la mort est une sorte de point par lequel l'homme peut envisager l'entièreté de son existence, c'est le point par lequel la question du sens se pose, d'où la légèreté de son oubli :

 

La pensée de la mort a la même valeur que l’ennui. Elle pousse alors à une méditation véritable : «  sans cela [le divertissement] nous serions dans l’ennui, et cet ennui nous pousserait à chercher un moyen d’en sortir. Mais le divertissement nous amuse, et nous fait arriver insensiblement à la mort » Pascal 171

 

Pour Arendt cette méditation ne doit pas demeurer une simple contemplation, mais elle doit au contraire amener à une action signifiante :   

 

Arendt critique la vie contemplative « Ce qui importe, c'est que l'expérience de l'éternel, par opposition à celle de l'immortalité, ne correspond et ne peut donner lieu à aucune activité. ». H. Arendt La condition de l’homme moderne. Elle parle de la vie active, qui serait centrée sur ce que Du Bellay appelait «  un honnête désir de l’immortalité », c'est-à-dire la préoccupation d’habiter un monde où les réalités survivraient, à l’homme : « Le devoir des mortels, et leur grandeur possible, résident dans leur capacité de produire de choses - œuvres, exploits et paroles - qui mériteraient d'appartenir et, au moins jusqu'à un certain point, appartiennent à la durée sans fin. » Ibid. TEXTE 9

 

 Il y a bien donc une grandeur de l’activité humaine qui s’inscrit dans la tragédie de sa mortalité, et qui le pousse à réaliser des œuvres qui lui survivent. Le divertissement risque de faire oublier cette quête, d’où l’effort de la pensée pour « sauver de l'oubli la quête d'immortalité qui avait été à l'origine le ressort essentiel de la vita activa. » ibid.

 

 

 

    

 

3) Sa dignité enfin

 

« Toute notre dignité consiste dans la pensée » Pascal 347 c'est-à-dire dans le fait qu’il est capable de témoigner du monde et de lui-même, donc de saisir sa condition.

 

C'est ce qui caractérise l'existence au sens propre qui implique une sortie de soi-même, un regard sur la vie que nous avons et que nous menons. (Cf. cours sur la conscience ). L'animal ne montre ni cette conscience de son existence ni son inquiétude pour l'avenir, il est "Attaché au piquet de l'instant" comme le dit Nietzsche dans la seconde de ses considérations inactuelles L'homme au contraire est préoccupé par le passé, le regret le remord (que Sartre nomme des néantités et Heidegger des existentiaux) ou l'avenir. Il ne se contente pas de vivre, il existe parce qu'il a conscience de vivre.

 

D’ailleurs c’est cela qui fait que l’homme serait plus noble, même que l’univers qui le tuerait «  car il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien » Pascal 347

 

On a vu que pour Pascal cela ne pouvait que nous laisser "inconsolables". C'est sans compter sur la possibilité d'une joie possible qui ne serait pas entachée par son caractère éphémère. TEXTE 10