L’intersubjectivité désigne le rapport entre des sujets. Ce rapport pose d’emblée problème : comme l’a montré Descartes notre existence est de l’ordre de l’évidence, celle de l’autre n’est que de l’ordre de la probabilité. De plus les comportements des sujets envers les sujets, des humains envers les humains ont montré massivement que hommes pouvaient traiter les autres humains comme des animaux, voire beaucoup plus mal. Comment alors poser une intersubjectivité, une reconnaissance spontanée de l’humain en tant qu’humain par ses semblables.
Cette démonstration prend racine dans la structure de la conscience et l’impossibilité de se connaître qui en est la conséquence. La conscience introduit une fracture en l’humain, l’homme est double comme l’a montré Hegel, parce qu’il est esprit, mais justement il ne peut s’observer en tant qu’esprit observant, en tant que sujet, pas plus qu’un œil de ne peut se voir sans miroir. Dès lors qu’il cherche à se connaître il ne peut parvenir à devenir à la fois sujet et objet, il tombe sur son propre effort de connaissance « l’effort réflexif vers le dédoublement aboutit à l’échec, je suis toujours ressaisi par moi ». Dès lors, pour se connaître, il faudrait pouvoir se poser comme objet, ce qui n’est possible que par l’intermédiaire d’un autre sujet. Voilà ce qu’est autrui, et tout autrui : « celui pour lequel je suis objet » dit encore Sartre. De manière synthétique il affirme également que « le seul miroir, c’est les autres ».

C’est ce que montrent des expériences comme la honte ou la fierté. Dans la honte ou le ridicule on éprouve le fait que l’autre a la possibilité de nous dire ce que nous sommes,  nous éprouvons ce que nous sommes sur le mode objectif de ce que l’autre pense de nous, même si nous ne savons pas ce qu’il pense ( et même si, en fait, il ne pense rien). L’autre est pour nous celui par lequel nous sommes objet.

Et nous reconnaissons spontanément autrui par le fait que nous avons toujours la possibilité d’être honteux ou ridicule  devant lui. Nous n’avons de véritable pudeur que devant un humain, et si nous sommes pudiques, devant n’importe quel humain.

D’ailleurs ceux qui feignent de mépriser l’humain, de dénier la qualité de sujet à d’autres humains sont pris dans des attitudes contradictoires, comme ce maître qui fouette son esclave s’il se moque de lui, ou le machiste qui bat sa femme parce qu’il s’est montré faible ou méprisable devant elle. Par leur violence même ces hommes montrent qu’ils considèrent le regard de ceux qu’ils affectent de ne pas considérer comme fondamentalement égaux, comme des sujets potentiels.
La négation de l’humain par l’humain, loin d’infirmer la reconnaissance spontanée des consciences, confirme donc l’intersubjectivité.