L’illusion la plus commune à propos du désir est l’illusion romantique selon laquelle nous sommes nous-mêmes à l’origine de nos désirs, qu’il y a une spontanéité dans le processus du désir. Considérer que notre désir, même le plus personnel, vient des autres, constitue même une blessure narcissique, d’où l’illusion d’une origine personnelle du désir. René Girard s’emploie à dénoncer cette illusion. La thèse de cet auteur est que le désir est essentiellement médiatique, ce qui signifie que tout désir d’objet est un désir d’être, et plus précisément d’être l’autre, qui devient par conséquent le médiateur de notre désir. Les objets (qui peuvent bien sûr être des personnes) de notre désir, est donc toujours médiatisé par le désir d’être un autre.
Il est facile de reconnaître cette structure dans le désir conscient d’être un autre, ce que Girard appelle la médiation externe. L’exemple littéraire de Don Quichotte est le plus éclairant à ce titre : ce personnage désire être un chevalier errant, et tout ce qu’il va désirer : combattre des géants, avoir une dulcinée, un casque ou un bouclier, ne sont que des moyens de se rapprocher de son modèle. Le « fan » contemporain est dans la même structure. Le religieux également, de manière légitime selon Girard « on ne peut faire de progrès dans la vertu qu’en imitant le Christ » dit Saint Jean de la Croix. Tous en tout cas avouent bien fort la nature de leur désir. Ils sont (les religieux mis à part) sujets de moquerie, ou de comédie comme Monsieur Jourdain du bourgeois gentilhomme. Leur comportement est considéré comme une exception ridicule parce que nous ne voyons pas que nous leur ressemblons.
Mais tout désir est de même ordre, c’est ce qu’ont compris les romanciers pour le révéler, et les publicitaires pour s’en servir. Proust montre le snobisme comme une structure centrale de la société, Dostoïevski observe que le désir amoureux se joue dans une structure triangulaire : on aime celui qui pourrait être désiré par une personne que l’on voudrait être, l’éternel mari ne peut désirer sa femme que si celui qu’il admire la désire en premier. Il est d’ailleurs notable que les critères de séduction soient déterminés par des considérations sociologiques, les femmes très en chair avaient davantage de succès lorsque le fait de pouvoir se nourrir abondamment était un signe de richesse. Les publicitaires savent que pour faire aimer une marque il faut l’associer à un être prestigieux ou à une classe sociale supérieure.