LA JUSTICE, LE DROIT
Introduction
Etymologiquement la justice et le droit sont semblables. Justice vient de « jus » en latin qui signifie « le droit ».
Le droit est une métaphore, celle de la rectitude de l’exactitude. Il y a d’ailleurs dans le droit cette notion mathématique d’égalité.
On verra à quelle égalité renvoie la justice. On verra ensuite les problèmes de son application
I DIFFERENTS TYPES D’EGALITE ET VALIDITE
A) Justice mutuelle et distributive
La justice c’est l’égalité fondamentale entre les humains. C’est la justice mutuelle affirmée par la déclaration des droits de l’homme.
Mais il est une autre justice, qui considère les humains selon un rapport. Il est injuste par exemple de punir l’innocent ou de récompenser le coupable. C’est ce qu’on appelle la justice distributive. Son principe central est le mérite.
En droit pénal, l’injustice serait l’innocent persécuté ou le coupable impuni. Il y aurait également un aspect social de la justice distributive qui consisterait à donner à chacun selon son mérite.
B) de la justice distributive pénale.
1) Plus rationnelle que la violence
La vengeance humaine est sans limite parce qu’elle est une question d’orgueil, on se venge d’une offense, pas d’un mal. « L’homme est un loup pour l’homme dit » Horace L'anthropologie permet de montrer que la violence humaine est sans, parce qu'elle ne se borne pas à répondre au mal par le mal (ce qui est déjà davantage que ce que fait l'animal) elle n'a que les limites de l'amour propre, qui n'en a aucune
: « chacun punissant le mépris qu'on lui avait témoigné d'une manière proportionnée au cas qu'il faisait de lui-même, les vengeances devinrent terribles » Rousseau Discours sur… l’inégalité En effet la norme de la vengeance c'est la disproportion
La justice punitive proportionne la vengeance, la limite au mal commis.
Le droit c’est donc la limitation par une autorité, de la violence privée. TEXTE 1
La justice distributive pénale introduit donc un progrès par rapport au seul excès des vengeance : Le châtiment proportionné au crime, Loi du talion, est donc une forme de « modération » cf. origine « talis » : tel. Considération aussi d’une même humanité : « Mais si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure. »
— Exode 21,23-25
Même un mauvais droit peut, à la limite, être préférable à une absence de droit. C’est le propos de Pascal : « la guerre civile est le pire de tous les maux » Pensées 320, il faut l’éviter à tout prix, même si cela est discutable. Texte 1
2) Réalité psychologique sous l’apparence rationnelle
S'il s'agit, pour une punition de "faire payer" un coupable, la monnaie est étrange : c'est de la souffrance, comme si la souffrance de l'autre ( du coupable) m'apportait quelque chose, alors qu'en toute logique, qu'on prenne la dent de celui qui m'a pris la mienne ne me permet pas d'en avoir une de plus : La vengeance ne serait qu'une légitimation d'un plaisir sadique Cf. Nietzsche : "comment la souffrance peut-elle être une compensation pour des « dettes » ? Faire souffrir causait un plaisir infini, (…) cela procurait aux parties lésées une contre-jouissance extraordinaire " Généalogie de la morale 2ème dissertation § 6 TEXTE 2
Dans cette mesure il ne faut pas confondre le justicier et le juste : le premier cède à la violence, assouvit sa vengeance ou celle des autres, le juste est capable de les dépasser.
D’ailleurs, les grandes figures morales de différentes cultures (Jésus, Mahomet, Bouddha)
«Allah a préparé le paradis pour ceux qui dominent leur rage et pardonnent" Coran 3/134
« Vous avez appris qu'il a été dit: oeil pour oeil, et dent pour dent. Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l'autre. Si quelqu'un veut plaider contre toi, et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau » Mathieu 5 :38
sont des exemples éminents de renoncement à la vengeance : Œil pour œil finira par rendre le monde aveugle Gandhi. TEXTE 3
L’horreur du premier meurtre m'en faict craindre un second ; et la haine de la première cruauté m'en faict haïr toute imitation. " Montaigne Essais III ch.12
De plus on a pu voir que dans le règlement de conflits de grandes ampleur, il fallait dépasser la stricte économie de la rétribution de la faute par une peine. Les
juristes chargés de pacifier les relations au Rwanda après le génocide ont dû faire preuve d'une inventivité diplomatique et juridique pour tenter de freiner au maximum la reprise de la
violence.
3) Seules justifications possibles de la peine
- Une concession au besoin de vengeance, empêcher de nuire et dissuader.
- Pas de sévérité nécessaire : « En arithmétique politique, il faut substituer à l’exactitude rigoureuse le calcul des probabilités. » Beccaria Des délits et des peines §2
- Efficacité contestable. Seule efficacité réelle : « Enfin le moyen le plus sûr mais le plus difficile de prévenir les délits est de perfectionner l’éducation » ibid. § 45
Le fait de punir un coupable est donc, au mieux, une triste nécessité, pas un idéal. C'est surtout le signe d'une société malade de la trop faible éducation de ses
membres, de ses inégalités, et de la misère qu'elle ne parvient pas à résorber.
C) Validité de la justice distributive sur le plan social
Est-il juste socialement de considérer le mérite de chacun ?
1) La méritocratie est plus juste que la société de rangs.
Dans la société de rangs c’est la naissance qui déterminait la place sociale.
Beaumarchais donne la formulation de son injustice lorsque Figaro dit au Comte : « vous vous êtes donné la peine de naître et rien de plus ».
La société à partir de la révolution française va supprimer le rang et considérer le mérite.
2) L’égalité civile moyenne de la méritocratie
Anonymat aux examens et concours : pensez à l’armée de Napoléon
Education obligatoire et gratuite.
3) Problèmes de l’inégalité sociale
- Héritage économique facteur d’inégalité.
- Il y a aussi un héritage culturel, c’est ce que constate la sociologie. Il y a, dit Bourdieu, une « reproduction sociale ». C’est-à-dire que les personnes ont statistiquement la même situation socioéconomique que leurs parents. La misère s’hérite aussi.
La notion de mérite est donc très discutable, la justice ne consiste pas à considérer principalement cette notion.
Donc il ne faut pas juger une société sur la possibilité abstraite qu’elle donnerait de « réussir ». La notion de mérite réclame un examen par la sociologie. De même il ne faut pas confondre le juste et le justicier. D’où il ressort que la notion de mérite est discutable et que la notion de justice distributive ne correspond pas à l’idéal de justice.
« La justice distributive est un moyen, la justice mutuelle est en elle-même un idéal, c'est-à-dire une fin pour toute volonté droite ». Alain.
II/ L’EGALITE MUTUELLE, L'ETAT DE DROIT
Puisque la justice distributive est imparfaite, il faut considérer la justice mutuelle. On montrera qu'elle s'inscrit dans la loi. On pourra alors essayer de considérer les conditions d'un Etat de droit.
A) Son inscription dans la loi
1) Distinction entre le droit et le fait, le légal et le légitime
- Concession : Le droit est nécessaire,
Même un mauvais droit peut, à la limite, être préférable à une absence de droit. C’est le propos de Pascal : « la guerre civile est le pire de tous les maux » Pensées 320, il faut l’éviter à tout prix, même si cela est discutable. Texte 1
(On pourrait même dire que tout le droit correspond à une transformation du fait, en droit, la propriété par exemple n’est que la légalisation d’une possession : N’ayant pu fortifier la justice dit Pascal, on a justifié la force cf. Texte Pascal Pensées 298)
Attention cependant à ne pas confondre le droit et le fait : il n’y a par exemple dans le fait d’être le plus fort, aucune justice, et la légalisation d’un état de fait, ne fait pas un droit véritable. Si je prends le pouvoir par la force et que je me dis président, je ne le suis pas légitimement. La force nuit même à la stabilité : la force est faible parce qu’elle doit toujours multiplier les moyens de se maintenir, seule le droit est véritablement fort : « Le plus fort ne l’est jamais assez pour l’être toujours » Rousseau Du contrat social L.I, ch.8 Texte 7
Qu’est ce qui fait alors la réelle légitimité du droit, qu’est-ce qui fait un droit juste ?
2) Droit traditionnel et droit républicain
Dans le droit traditionnel, ce qui fait un droit juste, c’est une autorité antérieure ou supérieure aux hommes : la loi est au-dessus des hommes et elle s’impose à eux, elle est indiscutable.
Ex en Iran, une partie des lois tiennent leur autorité de textes religieux. Par exemple les candidats aux futures élections en Iran sont examinés par les Gardiens de la révolution Islamique et 90% sont rejetés.
Dans le droit républicain, on fait les lois, ce qui fait leur autorité, c’est la raison, et leur acceptation par les citoyens.
« Le peuple soumis aux lois doit en être l’auteur » Rousseau. L.II, ch4
C’est pour cela par exemple que l’on a refusé de mettre en exergue de la constitution européennes « l’origine chrétienne de l’Europe ». Les lois sont produites, peu importe leur origine, et si l’origine divise, le fondement rassemble. C’est la raison qui va les produire et donner leur caractère.
D’ailleurs même dans un pays de tradition différente dont les lois sont correctes (au Japon) par exemple, il suffit de réfléchir pour ne pas être dans l’illégalité « Faites que pour faire ce qu’on doit, il suffit de songer qu’on le doit faire » dit Rousseau Texte 4
3) Le caractère universel de la loi.
- Le principe de l’universalité.
Une loi est une loi, si elle est universelle. (Même une loi physique est universelle). Rousseau parle de la volonté générale, c’est-à-dire de la volonté en tant qu’elle pourrait avoir une valeur pour tous. C'est-à-dire celui qui les fait doit se poser la question suivante : est-ce que tout homme raisonnable pourrait vouloir cette loi ?
- Il ne faut pas confondre par exemple la loi de la majorité avec la volonté générale : la majorité peut par exemple décider d’écraser une minorité (Hitler a été élu démocratiquement).
Une loi qui ne considérerait que l’intérêt d’une partie de la population au détriment d’une autre ne mériterait pas le nom de loi. Ex des lois anti-juives de 1941.
Les lois doivent chercher à réaliser l’intérêt général et le bien commun.
Ne résout pas tous les problèmes : il demeure des décisions légales dont on ne sait pas si elles sont bonnes ou non (par exemple les lois qui régissent l’économie), mais une volonté législatrice n’est bonne que si elle se place dans l’optique de cette volonté générale.
- La notion de bien commun : La volonté générale peut seule diriger les forces de l'état selon la fin de son institution qui est le bien commun." Du contrat social Livre II Ch. VI. Les intérêts peuvent être différents, mais les hommes ont tous des intérêts communs. (Par exemple le riche et le pauvre ont intérêt à interdire le vol).
C’est la raison qui détermine cette valeur de la loi et tout le monde en est théoriquement l’auteur. La loi réalise donc bien l’égalité des personnes.
B) Les conditions de l'Etat de droit
Que les lois soient des lois correctes, c'est à dire dont le but est de maximiser la liberté.
Protection des individus contre toute tyrannie : la tyrannie que les hommes pourraient exercer les uns sur les autres. "L'homme est un loup pour l'homme" Hobbes,
c'est pour cela qu'il faut des lois.
Protection aussi contre l'abus de l'Etat par lui même.
Un Etat juste est d'abord un Etat qui limite son propre pouvoir : "il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir" Montesquieu.
Il faut donc une séparation du pouvoir, une indépendance de la justice.
Il faut que le pouvoir est une fin, qu'il ne soit pas absolu dans le temps. Tout tyran commence par supprimer la limitation du nombre de mendats cf. Poutine ou
Xi.
Il faut également que l'Etat soit surveillé " Tout pouvoir est méchant dès qu’on le laisse faire ; tout pouvoir est
sage dès qu’il se sent jugé" Alain, Propos. D'où l'importance d'une presse libre, indépendante et
professionnelle.
Mais un Etat protège aussi de lui même. C'est ce qu'on peut nomme la sûreté. Nombre de lois protègent l'individu contre l'abus de pouvoir.
A défaut de l'état juste on peut savoir ce qu'est un Etat de droit, et déterminer l'Etat tellement injuste qu'il ne mérite pas ce nom.
Reste le progrès possible à partir de ce minimum.
III/ LA LUTTE CONTRE L’INJUSTICE
A) Difficulté des moyens extrêmes contre les Etats injustes.
Certains ont réussi à combattre contre l’injustice sans « se salir les mains » en restant eux-mêmes constamment justes. Martin Luther King, Gandhi ou Mandela.
Mais pour combattre des gens qui n’hésitent pas dans l’emploi de la violence, le pacifisme et la justice ne suffisent pas. « La justice sans la force est impuissante » dit Pascal Pensées 298 Texte 5
Toute la difficulté consiste dans le fait que l’emploi de la violence pour combattre l’injustice risque de rendre l’idéal dérisoire. Que penser d’un groupe qui combattrait la tyrannie et la cruauté par la cruauté et la tyrannie ? C’est le problème que pose Camus dans sa pièce : « Les justes »
B) L’ambivalence des moyens modérés dans les Etats corrects
Ambigüité du bénévolat
Il présente tout d’abord un problème d’efficacité, la
Bonne volonté ne fait pas la compétence. Par exemple une campagne de vaccination des enfants sans maîtrise de la fécondité peut accroître une pauvreté. Il semble également que le bénévolat soit parfois à l’avantage de ceux qui l’exercent : il est dans l’intérêt de ceux qui bénéficient d’une situation privilégiée de travailler à ce que cette situation se maintienne, quitte à lâcher du lest : « toute la ruse des bonnes consciences, bien pensantes et bien nourries consiste à donner au pauvre comme une gracieuseté ce qui lui est dû comme un droit ». Jankélévitch.
La bonne volonté a surtout une valeur lorsqu’elle cherche à faire progresser la loi pour qu’elle prenne davantage en compte, autant que possible, l’égale valeur de tous les humains. "La charité d'aujourd'hui est le droit de demain" dit Jankélévitch.
avec pour une fois, une forme de naïveté, parce que personne ne connaît l'avenir.
CONCLUSION
La justice correspond à une forme de droiture, d'égalité mais encore faut-il savoir de quelle égalité on parle : l'égalité distributive montre sa fragilité à l'examen : sur le plan pénal elle est au mieux une triste nécessité, sur le plan social elle n'est souvent qu'un alibi idéologique pour justifier les hiérarchies. Seule la justice mutuelle correspond donc à l'égalité juste. La loi est théoriquement son expression rationnelle. Cependant le droit n'est jamais complet et toujours à parfaire pour se rapprocher de l'idéal de justice. Les moyens à employer pour atteindre l'idéal juste posent toujours problème : ils doivent être considérés avec prudence : les idéaux les plus ambitieux de justice ont dans l'histoire donnés lieu aux pires régimes et, en ce qui concerne l'action plus individuelle, le risque demeure toujours de voir l'idéal de justice rendu dérisoire par l'emploi de moyens extrêmes.