Textes sur la Liberté

 

 

 

TEXTE1  La Vraie liberté est le pouvoir

 

" Voici ce qui est beau et juste suivant la nature, je te le dis en toute franchise, c'est que pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout l'accroissement possible, au lieu de les réprimer, et, quand elles ont atteint toute leur force, être  capable de leur donner satisfaction par son courage et son intelligence et de remplir tous ses désirs à mesure qu'ils éclosent.

  Mais cela n'est pas, je suppose, à la portée du vulgaire . De là vient qu'il décrie les gens qui en sont capables, parce qu'il a honte de lui-même et veut cacher sa propre impuissance.  Il dit que  l'intempérance est une chose laide, essayant par là d'asservir ceux qui sont mieux doués par la nature, et ne pouvant lui-même fournir à ses passions de quoi les contenter, il fait l'éloge de la tempérance et de la justice à cause de sa propre lâcheté (...). La vérité que tu prétends chercher, Socrate, la voici : le luxe, l'incontinence   et la liberté, quand ils sont soutenus par la force, constituent la vertu et le bonheur ; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que niaiseries et néant". Gorgias, (Discours de Calliclès) Platon

 

 

 

TEXTE 2 LA LIBERTE COMME CHOIX

 

« L’indifférence me semble signifier proprement l’état dans lequel se trouve la volonté lorsqu’elle n’est pas poussée d’un côté plutôt que de l’autre par la perception du vrai ou du bien ; et c’est en ce sens que je l’ai prise lorsque j’ai écrit que le plus bas degré de la liberté est celui où nous nous déterminons aux choses pour lesquelles nous sommes indifférents. Mais peut-être d’autres entendent-ils par indifférence la faculté positive de se déterminer pour l’un ou l’autre de deux contraires, c’est-à-dire de poursuivre ou de fuir, d’affirmer ou de nier. Cette faculté positive, je n’ai pas nié qu’elle fût dans la volonté. Bien plus, j’estime qu’elle s’y trouve, non seulement dans ces actes où elle n’est poussée par aucune raison évidente d’un côté plutôt que de l’autre, mais aussi dans tous les autres; à tel point que, lorsqu’une raison très évidente nous porte d’un côté, bien que, moralement parlant, nous ne puissions guère choisir le parti contraire, absolument parlant, néanmoins, nous le pouvons. Car il nous est toujours possible de nous retenir de poursuivre un bien clairement connu ou d’admettre une vérité évidente, pourvu que nous pensions que c’est un bien d’affirmer par là notre libre arbitre. » DESCARTES Méditation quatrième

 

 

 

TEXTE 3 La liberté comme obéissance à sa propre loi

L’autonomie de la volonté est cette propriété qu’a la volonté d’être à elle-même sa loi (indépendamment de la nature des objets du vouloir). Le principe de l’autonomie est donc d’opter toujours de telle sorte que la volonté puisse considérer les maximes, qui déterminent son choix, comme des lois universelles, dans ce même acte de vouloir. Lorsque la volonté cherche la loi qui doit la déterminer ailleurs que dans l’aptitude de ses maximes à former une législation qui loi soit propre, et qui en même temps soit universelle, lorsque, par conséquent, sortant d’elle même, elle cherche cette loi dans la nature de quelqu’un de ses objets, il y a toujours hétéronomie. Ce n’est pas alors la volonté qui se donne à elle-même sa loi, mais c’est l’objet qui la lui donne par son rapport avec elle. Kant Fondements de la métaphysique des moeurs

 

 

 

 

TEXTE 4 Le remord épreuve rétrospective de la liberté

 Un homme peut travailler avec autant d'art qu'il le veut à se représenter une action contraire à la loi qu'il se souvient avoir commise, comme une erreur faite sans intention, comme une simple imprévoyance qu'on ne peut jamais entièrement éviter, par conséquent comme quelque chose où il a été entraîné par le torrent de la nécessité naturelle, et à se déclarer ainsi innocent, il trouve cependant que l'avocat qui parle en sa faveur ne peut réduire au silence l'accusateur qui est en lui s'il a conscience qu'au temps où il commettait l'injustice, il était dans son bon sens, c'est-à-dire qu'il avait l'usage de sa liberté. Quoiqu'il s'explique sa faute par quelque mauvaise habitude, qu'il a insensiblement contractée en négligeant de faire attention à lui-même et qui est arrivée à un tel degré de développement qu'il peut considérer la première comme une conséquence naturelle de cette habitude, il ne peut jamais néanmoins ainsi se mettre en sûreté contre le blâme intérieur et le reproche qu'il se fait à lui-même. C'est là-dessus aussi que se fonde le repentir qui se produit à l'égard d'une action accomplie depuis longtemps, chaque fois que nous nous en souvenons.  Kant, Critique de la raison pratique.

   

 

 TEXTE 5 L'imagination politique et la liberté  

 «  Tant que l’homme est plongé dans la situation historique, il lui arrive de ne même pas concevoir les défauts et les manques d’une organisation politique ou économique déterminé, non comme on dit sottement parce qu’il en « a l’habitude  », mais parce qu’il la saisit dans sa plénitude d’être et qu’il ne peut même pas imaginer qu’il puisse en être autrement. Car il faut ici inverser l’opinion générale et convenir de ce que ce n’est pas la dureté d’une situation ou les souffrances qu’elle impose qui sont motifs pour qu’on conçoive un autre état de choses où il en irait mieux pour tout le monde ; au contraire, c’est à partir du jour où l’on peut concevoir un autre état de choses qu’une lumière neuve tombe sur no peines et sur nos souffrances et que nous décidons qu’elles sont insupportables. L’ouvrier de 1830 est capable de se révolter si l’on baisse les salaires, car il conçoit facilement une situation où son misérable niveau de vie serait moins bas cependant que celui qu’on veut lui imposer. Mais il ne se représente pas ses souffrances comme intolérables, il s’en accommode, non par résignation, mais parce qu’il manque de la culture et de la réflexion nécessaires pour lui faire concevoir un état social où ces souffrances n’existeraient pas. Aussi n’agit-il pas. » SARTRE

  

 

TEXTE 6 La condamnation à être libre

Dostoïevski avait écrit: «  si Dieu n’existait pas, tout serait permis ». C’est là le point de départ de l’existentialisme. Si en effet, tout est permis, si Dieu n’existe pas, l’homme est délaissé, parce qu’il ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de s’accrocher. Il ne trouve d’abord pas d’excuses. Si, en effet, l’existence précède l’essence, on ne pourra jamais expliquer par référence à une nature humaine donnée et figée; autrement dit, il n’y a pas de déterminisme, l’homme est libre, l’homme est liberté. Si d’autre part, Dieu n’existe pas, nous ne trouvons pas en face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite. Ainsi, nous n’avons ni derrière nous, ni devant nous, dans le domaine lumineux des valeurs, des justifications ou des excuses. Nous sommes seuls, sans excuses. C’est ce que j’exprimerai en disant que l’homme est condamné à être libre. Condamné parce qu’il ne s’est pas crée lui-même, et par ailleurs ce pendant libre, parce qu’une fois jeté dans le monde il est responsable de tout ce qu’il fait. L’existentialiste ne croit pas à la puissance de la passion. Il ne pensera jamais qu’une belle passion est un torrent dévastateur qui conduit fatalement l’homme à certains actes, et qui, par conséquent, est une excuse. Il pense que l’homme est responsable de sa passion. L’existentialiste ne pensera pas non plus que l’homme peut trouver un secours dans un signe donné, sur terre, qui l’orientera; car il pense que l’homme déchiffre lui-même le signe comme il lui plaît. Il pense donc que l’homme sans aucun appui et sans aucun secours, est condamné à chaque instant à inventer l’homme. Ponge a dit, dans un très bel article: «  l’homme est l’avenir de l’homme ». C’est parfaitement exact ». SARTRE L'existentialisme est un humanisme

  

 

 

TEXTE 7 Liberté et responsabilité

Quand nous disons que l’homme se choisit, nous entendons que chacun d’entre nous se choisit, mais par là nous voulons dire aussi qu’en se choisissant il choisit tous les hommes. En effet, il n’est pas un de nos actes, qui, en créant l’homme que nous voulons être, ne crée en même temps une image de l’homme tel que nous estimons qu’il doit être. Choisir d’être ceci ou cela, c’est affirmer en même temps la valeur de ce que nous choisissons, car nous ne pouvons jamais choisir le mal ; ce que nous choisissons, c’est toujours le bien, et rien ne peut être bon pour nous sans l’être pour tous. Si l’existence, d’autre part, précède l’essence et que nous voulions exister en même temps que nous façonnons notre image, cette image est valable pour tous et pour notre époque toute entière. Ainsi, notre responsabilité est beaucoup plus grande que nous ne pourrions le supposer, car elle engage l’humanité entière. Si je suis ouvrier, et si je choisis d’adhérer à un syndicat chrétien plutôt que d’être communiste, si, par cette adhésion, je veux indiquer que la résignation est au fond la solution qui convient à l’homme, que le royaume de l’homme n’est pas sur la terre, je n’engage pas seulement mon cas: je veux être résigné pour tous, par conséquent ma démarche a engagé l’humanité tout entière. Et si je veux, fait plus individuel, me marier, avoir des enfants, même si ce mariage dépend uniquement de ma situation, ou de ma passion, ou de mon désir, par là j’engage non seulement moi-même, mais l’humanité tout entière sur la voie de la monogamie. Ainsi je suis responsable pour moi-même et pour tous, et je crée une certaine image de l’homme que je choisis ; en me choisissant, je choisis l’homme. SARTRE L’existentialisme est un humanisme

 

 

 

 TEXTE 8 La contestation du libre arbitre par le déterminisme

 « J'en conviens, les affaires humaines iraient beaucoup mieux s'il était également au pouvoir de l'homme de se taire ou de parler. Mais l'expérience montre assez — et au-delà — que les hommes n'ont rien moins en leur pouvoir que leur langue, et qu'ils ne peuvent rien moins que de régler leurs désirs ; d'où vient que la plupart croient que nous n'agissons librement qu'à l'égard des choses que nous désirons modérément, parce que le désir de ces choses peut être facilement contrarié par le souvenir d'une autre chose dont nous nous souvenons souvent ; mais que nous ne sommes pas du tout libres à l'égard des choses que nous désirons vivement et qui ne peut être apaisé par le souvenir d'une autre chose. Mais, en vérité, s'ils ne savaient par expérience que nous accomplissons plus d'un acte dont nous nous repentons ensuite, et que souvent — par exemple quand nous sommes partagés entre des sentiments contraires — nous voyons le meilleur et suivons le pire, rien ne les empêcherait de croire que nous agissons toujours librement. C'est ainsi qu'un petit enfant croit désirer librement le lait, un jeune garçon en colère vouloir se venger, et un peureux s'enfuir. Un homme ivre aussi croit dire d'après un libre décret de l'esprit ce que, revenu à son état normal, il voudrait avoir tu ; de même le délirant, la bavarde, l'enfant et beaucoup de gens de même farine croient parler selon un libre décret de l'esprit, alors que pourtant ils ne peuvent contenir leur envie de parler. L'expérience elle-même n'enseigne donc pas moins clairement que la raison qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés ; elle montre en outre que les décrets de l'esprit ne sont rien en dehors des appétits mêmes, et sont par conséquent variables selon l'état variable du corps. » Spinoza l’Ethique, Livre III, scolie de la prop.2

  

 

 

TEXTE 9 Caractère insatisfaisant des conceptions de la liberté

Il y a (...) deux vues classiques. L'une consiste à traiter l'homme comme le résultat des influences physiques, physiologiques et sociologiques qui le détermineraient du dehors et feraient de lui une chose entre les choses. L'autre consiste à reconnaître dans l'homme, en tant qu'il est esprit et construit la représentation des causes mêmes qui sont censées agir sur lui, une liberté acosmique1. D'un côté l'homme est une partie du monde, de l'autre il est conscience constituante du monde. Aucune de ces deux vues n'est satisfaisante. À la première on opposera toujours (...) que, si l'homme était une chose entre les choses, il ne saurait en connaître aucune, puisqu'il serait, comme cette chaise ou comme cette table, enfermé dans ses limites, présent en un certain lieu de l'espace et donc incapable de se les représenter tous. Il faut lui reconnaître une manière d'être très particulière, l'être intentionnel, qui consiste à viser toutes choses et à ne demeurer en aucune. Mais si l'on voulait conclure de là que, par notre fond, nous sommes esprit absolu, on rendrait incompréhensibles nos attaches corporelles et sociales, notre insertion dans le monde, on renoncerait à penser la condition humaine. Merleau-Ponty  Phénoménologie de la perception, I, ch. VI

 

TEXTE 10 Dépassement de l'antinomie entre liberté et déterminisme. 

 

« Si je parcours des yeux une route tracée sur la carte, rien ne m’empêche de rebrousser chemin et de chercher si elle bifurque par endroits. Mais le temps n’est pas une ligne sur laquelle on repasse. Certes, une fois qu’il est écoulé, nous avons le droit de nous en représenter les moments successifs comme extérieurs les uns aux autres, et de penser ainsi à une ligne qui traverse l’espace ; mais il demeurera entendu que cette ligne symbolise, non pas le temps qui s’écoule, mais le temps écoulé. C’est ce que défenseurs et adversaires du libre arbitre oublient également - les premiers quand ils affirment et les autres quand ils nient la possibilité d’agir autrement qu’on a fait. Les premiers raisonnent ainsi : « Le chemin n’est pas encore tracé, donc il peut prendre une direction quelconque. » A quoi l’on répondra : « Vous oubliez que l’on ne pourra parler de chemin qu’une fois l’action accomplie ; mais alors il aura été tracé. » - Les autres disent : « Le chemin a été tracé ainsi ; donc sa direction possible n’était pas une direction quelconque, mais bien cette direction même. » A quoi l’on répliquera : « Avant que le chemin fût tracé, il n’y avait pas de direction possible ni impossible, par la raison fort simple qu’il ne pouvait encore être question de chemin. » - Faites abstraction de ce symbolisme grossier, dont l’idée vous obsède à votre insu ; vous verrez que l’argumentation des déterministes revêt cette forme puérile : « L’acte, une fois accompli, est accompli » ; et que leurs adversaires répondent : « L’acte, avant d’être accompli, ne l’était pas encore. » En d’autres termes, la question de la liberté sort intacte de cette discussion ; et cela se comprend sans peine, puisqu’il faut chercher la liberté dans une certaine nuance ou qualité de l’action même, et non dans un rapport de cet acte avec ce qu’il n’est pas ou avec ce qu’il aurait pu être. Toute l’obscurité vient de ce que les uns et les autres se représentent la délibération sous forme d’oscillation dans l’espace, alors qu’elle consiste en un progrès dynamique où le moi et les motifs eux-mêmes sont dans un continuel devenir, comme de véritables êtres vivants. Le moi, infaillible dans ses constatations immédiates, se sent libre et le déclare ; mais dès qu’il cherche à s’expliquer sa liberté, il ne s’aperçoit plus que par une espèce de réfraction à travers l’espace. De là un symbolisme de réfraction à travers l’espace. De là un symbolisme de nature mécaniste, également impropre à prouver la thèse du libre arbitre, à la faire comprendre, et à la réfuter. », Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience.