Textes sur la Nature
Le projet stoïcien : vivre en suivant la nature
Le matin, quand tu as de la peine à te lever, voici la réflexion que tu dois avoir présente à l'esprit : «Je me lève pour faire mon oeuvre d'homme ; je vais remplir les devoirs pour lesquels je suis né et j'ai été envoyé en ce monde. Pourquoi donc faire tant de difficultés ? Ai-je été créé pour rester ainsi chaudement sous des couvertures ? - Mais cela me fait plus de plaisir ! - Es-tu donc né pour le plaisir uniquement ? N'est-ce pas au contraire pour toujours travailler et toujours agir ? Ne vois-tu pas que les plantes, les oiseaux, les fourmis, les araignées, les abeilles concourent, chacune dans leur ordre, à l'ordre universel ? Et toi, tu refuserais d'accomplir tes fonctions d'homme ! Tu ne t'élancerais pas avec ardeur à ce qui est si conforme à ta nature ! - Mais, diras-tu, il faut bien que je me repose. - D'accord ; le repos est nécessaire ; mais la nature a mis aussi des bornes à ce besoin, comme elle en a mis au besoin de manger et de boire. En cela pourtant, tu vas au-delà des bornes, et tu dépasses ce qu'il te faut. Au contraire, quand tu agis, tu n'en fais pas autant ; et tu restes en deçà de ce que tu pourrais faire. Cette négligence tient à ce que tu ne t'aimes pas sérieusement toi-même ; car autrement tu aimerais ta nature. Ceux qui aiment réellement l'art spécial qu'ils cultivent se dessèchent sur les oeuvres que cet art leur inspire, oublieux du boire, oublieux du manger. Et toi, tu apprécies ta propre nature moins que le tourneur n'apprécie l'art du tour, moins que le danseur n'apprécie l'art de la danse, moins que l'avare n'apprécie son argent, ou le glorieux, sa vaine gloire ! Quand tous ces gens-là sont à leur ardent labeur, ils songent moins à manger ou à dormir qu'à avancer l'oeuvre dont ils s'occupent si passionnément. Et toi, tu trouves les devoirs que la société impose à ses membres moins importants et moins dignes de tes soins !» |
II Qu'il est commode d'écarter et d'effacer toute imagination fâcheuse ou inconvenante, et de retrouver aussitôt un calme profond ! |
III
Juge digne de toi toute parole et tout acte qui est selon la nature. Ne t'en laisse détourner ni par le blâme, ni par les calomnies, dont parfois le blâme est suivi. Du moment que
ee que tu as fait, ou ce que tu as dit, est bien, ne crois jamais que ce soit au-dessous de ta dignité. Les autres ont leur propre raison qui les conduit, et ils obéissent à leur
impulsion propre ; ne regarde donc pas à autrui ; mais suis tout droit ton chemin, en te conformant tout ensemble à ta nature particulière et à la nature commune ; car pour toutes
les deux, il n'y a qu'une seule et même voie. Marc Aurèle, Pensées pour moi-même V |
Innocence de l’homme à l’état de nature, corruption de l’homme civilisé
« Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique, en un mot tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce* indépendant ; mais dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre, dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les moissons. » ROUSSEAU Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité
« L'homme sauvage, quand il a dîné, est en paix avec toute la nature, et l'ami de tous ses semblables. S'agit-il quelquefois de disputer son repas. Il n'en vient jamais aux coups sans avoir auparavant comparé la difficulté de vaincre avec celle de trouver ailleurs sa subsistance et comme l'orgueil ne se mêle pas du combat, il se termine par quelques coups de poing. Le vainqueur mange, le vaincu va chercher fortune, et tout est pacifié, mains chez l'homme en société ce sont bien d'autres affaires: il s'agit premièrement de pourvoir au nécessaire, et puis au superflu: ensuite viennent les délices, et puis les immenses richesses, et puis des sujets, et puis des esclaves: il n'a pas un moment de relâche: ce qu'il y a de plus singulier, c'est que moins les besoins sont naturels et pressants, plus les passions augmentent, et, qui pis est, le pouvoir de les satisfaire; de sorte qu'après de longues prospérités, après avoir englouti bien des trésors et désolé bien des hommes, mon héros finira par tout égorger jusqu'à ce qu'il soit l'unique maître de l'univers. Tel est en abrégé le tableau moral, sinon de la vie humaine, au moins des prétentions secrètes du coeur de tout homme civilisé. » Rousseau Discours sur l'origine de l'inégalité
L’absurdité d’une volonté de vivre en « suivant la nature »
Vous voulez vivre « en conformité avec la nature » ? O nobles stoïciens, quelle duperie dans les mots ! Imaginiez un être conforme à la nature, comme elle prodigue sans mesure,
indifférent à l’extrême, sans intentions ni égards, sans pitié ni justice, fécond et stérile et incertain à la fois, imaginez l’indifférence même muée en puissance, comment pourriez-vous vivre
conformément à cette indifférence ? Vivre, n’est-ce pas évaluer, préférer, être injuste, borné, vouloir être différent ? Et à supposer que votre devise conformément à la nature signifie au fond :
« conformément à la vie », comment pourriez-vous faire autrement ? Pourquoi ériger en principe cela même que vous êtes, ce que vous ne pouvez pas ne pas être ? En réalité, il en est
tout autrement : alors que vous prétendez déchiffrer avec ravissement dans la nature le canon de vos lois, c’est tout autre chose que vous voulez, étranges comédiens, imposteurs qui vous trompez
vous-mêmes ! Votre orgueil veut prescrire et incorporer à la nature, je dis biens à la nature elle-même, votre morale, votre idéal; vous exigez qu’elle soit une nature « conforme à la
sagesse de Portique » , et vous voudriez ramener tout ce qui existe à la ressemblance de votre propre image, en faire une prodigieuse et éternelle apothéose et une généralisation du
stoïcisme. Malgré tout votre amour de la vérité, vous contraignez si longuement, si obstinément, avec une fixité tellement hypnotique, à voir la nature telle qu’elle n’est pas, c’est à dire
stoïcienne, que vous finissez par ne plus pouvoir la voir autrement ; et je ne sais quel orgueil sans fond vous inspire encore en dernier lieu cette espérance insensée que, puisque vous savez
vous tyranniser vous-mêmes - le stoïcien étant son propre tyran - la nature se laissera tyranniser à son tour ; le stoïcisme ne fait-il pas partie, lui aussi, de la nature ?
NIETZSCHE, Par delà le bien et le mal, § 9
Critique du darwinisme social
En fait, la force de l'idéologie néo-libérale, c'est qu'elle repose sur une sorte de néo-darwinisme social : ce sont «les meilleurs et les plus brillants», comme on dit à Harvard, qui triomphent (Becker, prix Nobel d'économie a développé l'idée que le darwinisme est le fondement de l'aptitude au calcul rationnel qu'il prête aux agents économiques). Derrière la vision mondialiste de l'internationale des dominants, il y a une philosophie de la compétence selon laquelle ce sont les plus compétents qui gouvernent, et qui ont du travail, ce qui implique que ceux qui n'ont pas de travail ne sont pas compétents. Il y a les winners et les losers, il y a la noblesse, ce que j'appelle la noblesse d'État, c'est-à-dire ces gens qui ont toutes les propriétés d'une noblesse au sens médiéval du terme et qui doivent leur autorité à l'éducation, c'est-à-dire, selon eux, à l'intelligence, conçue comme un don du Ciel, dont nous savons qu'en réalité elle est distribuée par la société, les inégalités d'intelligence étant des inégalités sociales. L'idéologie de la compétence convient très bien pour justifier une opposition qui ressemble un peu à celle des maîtres et des esclaves : avec d'un côté des citoyens à part entière qui ont des capacités et des activités très rares et surpayées, qui sont en mesure de choisir leur employeur (alors que les autres sont choisis par leur employeur, dans le meilleur des cas), qui sont en mesure d'obtenir de très hauts revenus sur le marché du travail international, qui sont suroccupés, hommes et femmes (j'ai lu une très belle étude anglaise sur ces couples de cadres fous qui courent le monde, qui sautent d'un avion à un autre, qui ont des revenus hallucinants qu'ils ne peuvent même pas rêver de dépenser en quatre vies, etc.), et puis, de l'autre côté, une masse de gens voués aux emplois précaires ou au chômage. Max Weber disait que les dominants ont toujours besoin d'une « théodicée de leur privilège », ou, mieux, d'une sociodicée, c'est-à-dire d'une justification théorique du fait qu'ils sont privilégiés. » Pierre Bourdieu, Contre-feux, p48-49
Il faut distinguer la nature qui est de l’ordre de ce qui est, des valeurs qui sont de l’ordre de ce qui doit être
« Si l’on entend par « nature » la réalité empirique des faits en général ou la nature particulière telle qu’elle est donnée dans le comportement concret – intérieur ou extérieur – des hommes, alors une théorie qui prétend pouvoir déduire de la nature des normes repose sur une erreur logique fondamentale. Car cette nature est un ensemble de faits qui sont reliés entre eux selon le principe de causalité, c’est-à-dire comme cause et effet, elle est un être (Sein) ; et d’un être on ne peut déduire un devoir (Sollen), d’un fait une norme ; aucun devoir ne saurait être immanent à l’être, aucune norme à un fait, aucune valeur à la réalité empirique. C’est seulement en appliquant de l’extérieur un devoir (Sollen) à l’être (Sein), des normes à des faits, qu’on peut les juger conformes à la norme, c’est-à-dire bons, justes, ou contraires à la norme, c’est-à-dire mauvais, injustes ; c’est seulement ainsi qu’on peut évaluer la réalité, c’est-à-dire la qualifier de pleine ou de dénuée de valeur. S’imaginer découvrir ou reconnaître des normes dans les faits, des valeurs dans la réalité, c’est être victime d’une illusion. Car il faut alors, même de façon inconsciente, projeter dans la réalité des faits, pour pouvoir les en déduire, les normes qu’on présuppose et qui constituent des valeurs. La réalité et la valeur appartiennent à deux domaines distincts ». Kelsen. Article : Justice et Droit Naturel dans Annales de Philosophie Politique. 1959.
Un humain acculturé perd plus que l’animal séparé d’un groupe
C’est une idée désormais conquise que l’homme n’a point de nature mais qu’il a -ou plutôt qu’il est - une histoire. (...) Certes, la notion même d’instinct, dans la psychologie animale, a perdu la rigidité qu’elle avait jadis. On sait aujourd’hui, que l’imitation, l’apprentissage des tâches chez les animaux supérieurs indiquent le rôle non négligeable de l’entourage dans la maturation de l’instinct. Malgré tout, celui-ci n’en continue pas moins d’apparaître comme un “a priori de l’espèce” dont chaque être exprime la force directrice d’une manière assez précise, même dans le cas d’un précoce isolement. c’est en ce sens qu’un comportement animal renvoie tout de même à quelque chose comme une nature. Chez l’enfant, tout isolement extrême révèle l’absence en lui de ces solides a priori, de ces schèmes adaptatifs spécifiques. Les enfants privés trop tôt de tout commerce social, -ces enfants qu’on appelle “sauvages”- demeurent démunis dans leur solitude au point d’apparaître comme des animaux dérisoires, comme de moindres animaux. Au lieu d’un état de nature où l’homo sapiens et l’homo faber rudimentaires se laisseraient apercevoir, il nous est donné d’observer une simple condition aberrante (...). La vérité est que le comportement, chez l’homme, ne doit pas à l’hérédité spécifique ce qu’il lui doit chez l’animal. Le système de besoins et de fonctions biologiques, légué par le génotype, à la naissance, apparente l’homme à tout être animé sans le caractériser, sans le désigner comme membre de l’“espèce humaine”. En revanche cette absence de déterminations particulières est parfaitement synonyme d’une présence de possibles indéfinis. (...) Ce que l’analyse même des similitudes retient de commun chez les hommes, c’est une structure de possibilités, voire de probabilités qui ne peut passer à l’être sans contexte social, quel qu’il soit. Avant la rencontre d’autrui, et du groupe, l’homme n’est rien que des virtualités aussi légères qu’une transparente vapeur. (...)
Le naturel, en l’homme, c’est ce qui tient à l’hérédité, le culturel c’est ce qui tient à l’héritage (héritage congénital durant la gestation même, périnatal et post-natal au moment de la naissance et tout au long de l’éducation). Il n’est pas facile, déjà, de fixer les frontières du naturel et du culturel dans le domaine purement organique. La taille, le poids de l’enfant, par exemple, sont sous la dépendance de potentialités héréditaires, mais aussi de conditions d’existence plus ou moins favorables qu’offrent le niveau et le mode de civilisation. (...) Dans le domaine psychologique les difficultés d’un clivage rigoureux entre le naturel et le culturel deviennent de pures et simples impossibilités. La vie biologique a des conditions physiques extérieures qui l’autorisent à être et à se maintenir, la vie psychologique de l’homme a des conditions sociales qui lui permettent de surgir et de se perpétuer. Lucien Malson, les enfants sauvages 1964
La confusion entre le culturellement différent et le « sauvage ».
L'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une
situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous
nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n'est pas de chez nous », « on ne devrait pas admettre cela », etc. ; autant de réactions grossières qui
traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manière de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l'Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait
pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare ; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or derrière ces épithètes se
dissimule un même jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l'inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du
langage humain ; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animale, par opposition à la culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d'admettre le
fait même de la diversité culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit. (…)
Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux qu'on choisit de considérer comme tels) hors de l'humanité est justement l'attitude la plus
marquante et la plus distinctive de ces sauvages mêmes. On sait, en effet, que la notion d'humanité, englobant, sans distinction de race ou de civilisation, toutes les formes de l'espèce humaine,
est d'apparition fort tardive et d'expansion limitée. Là-même où elle semble avoir atteint son plus haut développement, il n'est nullement certain - l'histoire récente le prouve - qu'elle soit
établie à l'abri des équivoques ou des régressions. Mais, pour de vastes fractions de l'espèce humaine et pendant des dizaines de millénaires, cette notion paraît être totalement absente.
L'humanité s'arrête aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village ; à tel point qu'un grand nombre de populations dites primitives se désignent d'un nom qui
signifie les « hommes » (ou parfois - dirons-nous avec plus de discrétion - les « bons », les « excellents », les « complets »), impliquant ainsi que les
autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus - ou même de la nature - humaines, mais sont tout au plus composés de « mauvais », de « méchants », de
« singes de terre » ou « d'œufs de pou ». On va souvent jusqu'à priver l'étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un « fantôme » ou une
« apparition » Lévi-strauss Races et histoire
Distinction entre le naturel et le culturel.
« Posons donc que tout ce qui est universel, chez l'homme, relève de l'ordre de la nature et se caractérise par la spontanéité, que tout ce qui est astreint à une norme appartient à la culture et présente les attributs du relatif et du particulier. Nous nous trouvons alors confrontés avec un fait, ou plutôt un ensemble de faits, qui n'est pas loin, à la lumière des définitions précédentes, d'apparaître comme un scandale : nous voulons dire cet ensemble complexe de croyances, de coutumes, de stipulations et d'institutions que l'on désigne sommairement sous le nom de prohibition de l'inceste. Car la prohibition de l'inceste présente, sans la moindre équivoque, et indissolublement réunis, les deux caractères où nous avons reconnu les attributs contradictoires de deux ordres exclusifs: elle constitue une règle, mais une règle qui, seule entre toutes les règles sociales, possède en même temps un caractère d'universalité. Que la prohibition de l'inceste constitue une règle n'a guère besoin d'être démontré ; il suffira de rappeler que le mariage entre proches parents peut avoir un champ d'application variable selon la façon dont chaque groupe définit ce qu'il entend par proche parent ; mais que cette interdiction, sanctionnée par des pénalités sans doute variables, et pouvant aller de l'exécution immédiate des coupables à la réprobation diffuse, parfois seulement à la moquerie, est toujours présente dans n'importe quel groupe social. » LEVI - STRAUSS (Les structures élémentaires de la parenté
Distinction entre être cultivé et être moralisé
« Nous sommes hautement cultivés dans le domaine de l'art et de la science. Nous sommes civilisés, au point d'en être accablés, pour ce qui est de l'urbanité et des bienséances sociales de tout ordre. Mais quant à nous considérer comme déjà moralisés, il s'en faut encore de beaucoup. Car l'idée de la moralité appartient encore à la culture ; par contre, l'application de cette idée, qui aboutit seulement à une apparence de moralité dans l'honneur et la bienséance extérieure, constitue simplement la civilisation. Mais aussi longtemps que des États consacreront toutes leurs forces à des vues d'expansion chimériques et violentes, et entraveront ainsi sans cesse le lent effort de formation intérieure de la pensée chez leurs citoyens, les privant même de tout secours dans la réalisation de cette fin, on ne peut escompter aucun résultat de ce genre ; car un long travail intérieur est nécessaire de la part de chaque communauté pour former à cet égard ses citoyens. Par contre, tout bien qui n'est pas greffé sur une disposition moralement bonne n'est que pure chimère et faux clinquant. » (Kant, Idée d'une histoire universelle (1784),