LA RAISON

 

Etymologiquement la raison est lié au calcul.

 

Raisonner c’est tenir un discours dans lequel les affirmations sont justifiées par :

 

·         sa cohérence interne

 

·         Sa conformité avec la réalité.

 

La raison peut avoir 2 formes adjectivales : Rationnel et raisonnable

 

Contraires de la raison :

 

passion opinion folie

 

 

 

 

 

I La raison et son application

  

 

La pensée rationnelle est donc celle qui vise le vrai et que l’on oppose aux produits de l’imagination ou de l’illusion. Mais surtout ce à quoi elle s’oppose c’est l’opinion.

 

L’homme qui raisonne ne s’en tient ni à sa propre opinion ni à celle des autres

 

  

A Invalidation de l’opinion commune

   

- Dans Gorgias ( 472a ) Polos avance comme argument que tout le monde pense comme lui.

 - Réponse Socrate comprend bien qu’il arrive qu’on ait raison contre tous, il arrive que tout le monde se mette d’accord sur des opinions toutes faites qui n’ont aucun rapport avec la vérité.

 - Socrate assimile le recours à l’opinion commune à un ensemble de faux témoignages.

 Ceci parce que sa conception du dialogue n’est pas celle des sophistes : Pour Socrate, le dialogue est la coopération des raisons pour parvenir à la vérité alors que pour les sophistes il s’agit d’utiliser le langage pour imposer son opinion à l’autre

 La personne qui raisonne sans expérience est ballottée de raisonnements persuasifs en raisonnements contraires et en vient à douter de la raison elle même. C’est le renoncement du relativisme : si tout le monde pense ceci ou cela pourquoi une opinion serait elle meilleur qu’une autre et on en vient à ne plus réfléchir du tout.

 C’est comme quelqu’un qui ayant placé sa confiance dans une personne puis dans une autre et ayant été déçu en venait à haïr l’humanité. « Il ne faut pas nous mettre à haïr les raisonnements comme certains se prennent à haïr les hommes car il n’existe pas de plus grand mal que d’être en proie à cette haine des raisonnements. » Platon Phédon ( 89c ) 

Pour les hommes il faut comprendre qu’il n’y a pas d’hommes parfaitement bons ni parfaitement mauvais et qu’il faut savoir les accepter comme ils sont.

 Pour les raisonnement il faut le contraire : savoir qu’il y en a des bons et des mauvais, qu’ils répondent à certaines règles.

 Les règles de raisonnement

  

B Validité formelle du raisonnement

 

C’est à cette exigence que correspond un raisonnement. C’est pourquoi on reconnaît un raisonnement par sa forme.

 Un raisonnement n’a pas la forme d’un simple constat : ceci est beau ou laid, ou d’un jugement.

 Un raisonnement est une opération logique qui consiste à lier ensemble un certain nombre de jugements.

 

Placer types de raisonnement

 Dans le langage courant il s’agit simplement de lier entre eux des jugements par des mots de liaison (mais donc or enfin etc.) pour aboutir à des conclusions valides . C’est d’ailleurs le rôle de la logique de déterminer commun aboutir à une conclusion valide.

 Cette dimension logique du raisonnement va alors permettre d’éveiller l’esprit afin qu’il gagne son autonomie de jugement, l’ouvrir aux autres dans la pratique du dialogue, qui exclut le repli sur soi et la violence «  Tout homme a le pouvoir initial de bien juger, de discerner les bonnes et les mauvaises raisons. Encore convient-il d’en faire bon usage et de ne pas prendre pour un jugement ce qui n’en est que la caricature, n’étant que l’expression servile d’un intérêt, d’un désir, d’une influence ou d’une habitude. »

 

Marcel Conche Le fondement de la morale PUF, coll. «  Perspectives critiques »1993

 

 

 

Le raisonnement s’acquiert donc et se cultive par l’exercice. L’apprentissage des sciences en est le terrain privilégié. La science est présentée d’ailleurs comme une lente conquête du rationnel sur l’irrationnel Il vaut mieux par exemple savoir que les feux follets sont dus au phosphore que de croire en des esprits. ( cf. Freud et les 3 âges de l’humanité )

 

 

 

C) Limites de la rationalité scientifique :

 

Elle est incapable de répondre à l’ensemble des questions que se pose l’esprit humain elle est dit comment est le monde mais elle ne dit pas comment il devrait être ou comment moi je devrais agir.

 La différence entre rationnel et raisonnable apparaît alors :

 Tout ce qui est rationnel n’est pas forcément raisonnable : un système politique peut par exemple être complètement rationnel, transparent dans ses structures, cohérent dans son idéologie et être déraisonnable car il dépossède l’homme de sa liberté. 

Inversement on pourrait considérer que l’on est raisonnable sans avoir examiné l’ensemble des occurrences, qu’il suffit de se fier au «  bon sens ». 

Cependant le bon sens est souvent un autre nom de l’opinion et la raison ne se limite pas à la prudence mais à l’exercice de son pouvoir intellectuel

 

 

D Différence entre intelligence et raison :

 

L’intelligence désignerait ( une définition parmi d’autres ) en l’intensité de la capacité intellectuelle. Mais l’intelligent peut être totalement déraisonnable comme l’homme qui court très vite peut très bien se tromper de chemin. L’idéologue intelligent enfermé dans un cercle n’en sortira pas mieux qu’un imbécile, il tournera juste plus vite.

 

Il est donc nécessaire d’exercer sa raison et pas seulement son intelligence.

 

L’autre alternative est la minorité intellectuelle : «  On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient, non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et de courage de s’en servir sans la conduite d’un autre. » Kant Qu’est ce que les lumières.
Bien entendu il est alors possible de se tromper mais l’erreur de l’individu raisonnable est différente de celle de celui qui n’a qu’une opinion: elle est fondée sur des raisonnements qui prêtent le flanc à la critique: Un raciste qui raisonne, par exemple, ne le restera pas.

 

Nous ne sommes pas toujours responsable de nous être tromper, et nous ne sommes pas toujours sûrs de nos choix mais nous sommes toujours responsable de ne pas avoir réfléchi

 

 

E Différence entre raison et passion

 

Elle est justement fondée sur le fait que l’attachement à nos convictions est elle-même fondée sur leur validité réelle, le passionné s’attache à ses idées pour des raisons personnelles, souvent relatives à son éducation. 

Sa principale erreur sera de ne pas même considérer la validité de son raisonnement, d’avoir dès le départ décidé de la conclusion qui serait la sienne. 

La raison correspondrait donc à la représentation correcte du réel opposé aux illusions du désir ou de la crainte. 

Jusque là pas de remise en cause de la raison, elle se présente comme la faculté par excellence qui permet à l’homme d’être vraiment lui même.

 

Mais ne peut-on en concevoir des limites ?

 

  

II LES LIMITES DE LA RAISON

 

A critique externe de la raison

  

1) des principes indémontrables 

La raison ne peut absolument rendre compte de ses premiers principes ou de ses prémisses, Ce n’est pas elle qui me dit que le plus court chemin d’un point à un autre est la ligne droite, qu’il y a trois dimensions etc. Pascal nous dit : «  Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le coeur. » Pensées 282 

Ce qui ne veut pas dire pour lui que les principes connus par le coeur sont moins certains : 

«  La connaissance des premiers principes, comme qu’il y a espace, temps, mouvements, nombres, est aussi ferme qu’aucune de celles que les raisonnements nous donnent. » Pensées 282

 

Pour Pascal il y a une autre source de vérité que la raison «  le coeur » cela parce que c’est un religieux et qu’il a trouvé une astuce maligne : Si vous croyez votre coeur lorsqu’il vous dit sans démonstration que le plus court chemin etc. Pourquoi ne le croyez vous pas quand il vous dit que Dieu existe. 

S’il est vrai que la raison ne peut rendre compte de tous ses principes, cela ne veut pas dire qu’un autre type de connaissance en rendrait mieux compte, surtout pas ce « coeur » dont parle Pascal . Il peut cependant y avoir un autre domaine où le coeur pourrait s’avérer plus efficace que la raison : la morale.

 

 

 

2) Validité morale de la raison 

- Reprocher son inefficacité morale ou sa froideur:

 Rousseau -> ce qui permet véritablement à l’homme d’agir moralement c’est une répugnance à voir souffrir l’autre : la pitié : «  la pitié est un sentiment naturel qui, modérant dans chaque individu l’amour de soi-même concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce » Discours sur l’origine… de l’inégalité…

 Elle est à l’origine de toutes les vertus : la clémence c’est la pitié envers les coupables, l’humanité envers le genre humain etc. 

C’est cela et non la raison qui permet instinctivement à l’homme de se comporter bien ou mal. Rousseau pense que s’il n’y avait eu que la raison nous n’aurions jamais pu survivre. 

«  Il n'y a plus que les dangers de la société entière qui troublent le sommeil tranquille du philosophe. On peut impunément égorger son semblable sous sa fenêtre; il n'a qu'à mettre ses mains sur ses oreilles et s'argumenter un peu pour empêcher la voix de la nature qui se révolte en lui de l'identifier avec celui qu'on assassine. » Discours sur l'origine de l'inégalité.

 

 Cette critique est discutable

 - D’abord parce que la pitié est un sentiment trop subjectif pour permettre de fonder une morale : le criminel pourrait rétorquer : désolé mais moi la pitié je ne la sens pas.

 Par ailleurs lorsque quelqu’un fait quelque chose qui nous parait mal on le demande de réfléchir, ce qui indique que la raison peut avoir une portée morale. L’individu qui agit peut en effet référer son acte à la société dans laquelle il vit, considérer si son acte est conséquent par rapport au fait de vivre avec les autres, Kant le dit : «  la loi morale est un fait de la raison. »

 En dernier lieu la critique de Rousseau est une critique externe à la raison, on pourrait envisager une critique plus interne.

 

 

 

B) critique interne

 

1) L’entreprise critique

La critique au sens Grec n’est pas une forme de condamnation, mais un appel au discernement. C’est dans ce sens que Kant effectue une critique de la raison pure. Il s’agit de mettre la raison « au tribunal de la raison », c’est-à-dire de faire en sorte que la raison s’examine elle-même pour déterminer quelles sont les limites de la connaissance possible.

 

2) les exigences de la raison

 

La raison pourrait être une faculté logique que l’on pourrait distinguer d’autres facultés.

 L’entendement serait la capacité de formuler des jugements, attribuer telle qualité ou telle propriété à tel objet ( l’eau gèle à 0° par exemple )

Mais la raison, elle, veut une unicité plus complète elle ne veut pas la loi particulière elle veut la théorie universelle.

Là où la raison est satisfaite c’est lorsqu’elle parvient à trouver une loi qui explique tout : Une des lois qui fut les plus satisfaisantes fut la loi concernant la gravitation universelle parce qu’avec une seule théorie on pouvait expliquer l’ensemble de la réalité connaissable. 

Il pourrait alors y avoir un désir de la raison, et même la raison peut alors prendre ses désirs pour des réalité :

 

 

3) ses illusions

 

a) Illusion métaphysique

C’est celle qu’étudie Kant dans une partie de sa grande critique justement : la dialectique transcendantale. La raison est conséquente lorsqu’elle cherche, dans le domaine de l’expérience, à « rationnaliser » c’est-à-dire à trouver les principes premiers des phénomènes, à unifier les lois physiques entre elles pour donner des principes généraux. En revanche, là où la raison commence à délirer c’est lorsqu’elle applique cette tendance là où aucune expérience ne pourra venir infirmer ses constructions théoriques : en métaphysique.

 A quoi pourrait correspondre le rêve d’une cause qui n’aurait pas besoin d’une autre cause pour l’expliquer, d’une seule cause, d’une seule réalité pouvant expliquer l’ensemble de la réalité sinon à Dieu ? L’idée de Dieu n’est donc pas seulement un produit d’un désir irrationnel, elle est aussi ce qui correspond à un rêve rationnel, celui d’une chose simple permettant de rendre raison d’une complexité infinie. Ce qui veut dire que l’idée de Dieu par exemple, est une idée de la raison, un rêve de la raison. Ce qui n’implique ni son existence, ni son inexistence mais l’impossible détermination justement, de cette question par la raison. Comme le disait Pascal : « Dieu est, Dieu n’est pas, la raison n’y peut rien déterminer ».

 

 

 

b) Illusion politique :

 On pourrait également souhaiter en ce qui concerne les hommes d’un système unique réglant le sort de tout individu et de toute culture, une globalisation rationnelle de l’existence en commun. C’est par exemple ce rêve que fait un Platon lorsqu’il écrit la république, un système politique fondé uniquement sur la raison et où ne pouvait intervenir par exemple le sentiment des parents pour leurs enfants ou des époux entre eux.

 La politique est de l’ordre du désir et de la force, personne n’a à réfléchir à notre place sur ce que nous désirons, ni bien sûr à trop réduire notre force, les discours sur une politique qui ne deviendrait par exemple que la gestion rationnelle de données économiques serait là aussi très dangereuse.

 Cependant la plus grande illusion consistait peut-être à croire en la capacité de la raison à circonscrire l’ensemble de la réalité :

 

 

 

C/ Le rapport de la raison à la réalité :

 

 1) Affirmation classique du rapport 

 

Tout le XIXème siècle a considéré que l’âge scientifique était une approche plus rationnelle et plus conforme à la réalité. 

On opposait par exemple la chimie et sa rigueur dans la distinction des éléments avec l’alchimie rempli de désirs illusoires et de rapports imaginaire entre des éléments n’ayant qu’une réalité perceptive ( l’air le feu l’eau la terre ) ou opposant les constats astronomiques avec les rêveries astrologiques: «  La raison humaine est désormais assez mûre pour que nous entreprenions de laborieuses recherches scientifiques, sans avoir en vue aucun but étranger capable d’agir fortement sur l’imagination. » Comte : Cours de philosophie positive.

 

 

 

2) Réduction du réel au rationnel :

  

La considération du réel comme correspondant totalement au rationnel est à l’origine de la pensée moderne Galilée écrit : «  la nature est écrite en langage mathématique ». Il ne s’agit pas d’un constat, il s’agit d’une pétition de principe, d’une affirmation sans fondement permettant de justifier une réduction effective de l’un à l’autre.

 Nietzsche le montre : il ne s’agit pas dans les premières découvertes de réellement aller vers le réel mais « d’imposer au chaos assez de régularité pour pouvoir comprendre ».

 Le pendant de cette réduction théorique du réel au rationnel c’est la réduction pratique du réel à l’instrumental. A ce titre la technique comme avatar de la raison est une ignorance de la réalité et de son exigence pour ne considérer que la mesure dans laquelle la réalité pourrait nous servir. «  le dévoilement qui régit la technique moderne est une provocation par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une énergie qui comme telle puisse être extraite et accumulée ». Heidegger: La question de la technique in Essais et conférences.p.20

 Ceci dit ce n’est peut-être pas à la raison qu’il faut s’en prendre mais au manque de sagesse, ou de pratique de la raison concernant son propre exercice : ce qui est vraiment raisonnable est de concevoir que la raison, même si elle est notre meilleur guide n’est cependant pas capable d’embrasser simplement l’ensemble de ce qui lui est extérieur : «  La vraie rationalité est ouverte et dialogue avec un réel qui lui résiste. (...) Elle connaît les limites de la logique et du déterminisme ; elle sait que l’esprit humain ne saurait être omniscient, que la réalité comporte du mystère. » Edgar Morin Terre-Patrie