TEXTE 1 : La référence à une « loi de la nature »

 

« Mais je vois que la nature elle-même proclame qu’il est juste que le meilleur ait plus que le pire et le plus puissant que le plus faible. Elle nous montre par mille exemples qu’il en est ainsi et que non seulement dans le monde animal, mais encore dans le genre humain, dans les cités et les races entières, on a jugé que la justice voulait que le plus fort commandât au moins fort et fût mieux partagé que lui. De quel droit, en effet, Xerxès porta-t-il la guerre en Grèce et son père en Scythie, sans parler d’une infinité d’autres exemples du même genre qu’on pourrait citer ? Mais ces gens-là, je pense, agissent selon la nature du droit et, par Zeus, selon la loi de la nature, mais non peut-être selon la loi établie par les hommes. Nous formons les meilleurs et les plus forts d’entre nous, que nous prenons en bas âge, comme des lionceaux, pour les asservir par des enchantements et des prestiges, en leur disant qu’il faut respecter l’égalité et que c’est en cela que consistent le beau et le juste. Mais qu’il paraisse un homme d’une nature assez forte pour secouer et briser ces entraves et s’en échapper, je suis sûr que, foulant aux pieds nos écrits, nos prestiges, nos incantations et toutes les lois contraires à la nature, il se révoltera, et que nous verrons apparaître notre maître dans cet homme qui était notre esclave ; et alors le droit de la nature brillera dans tout son éclat.  Platon, Gorgias.

 

 

 

TEXTE 2 Le fondement par la peur Hobbes.

 

"Aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun. Car la guerre ne consiste pas seulement dans la bataille et dans les combats effectifs, mais dans un espace de temps où la volonté de s'affronter en des batailles est suffisamment avérée: on doit par conséquent tenir compte, relativement à la nature de la guerre, de la notion de durée, comme on en tient compte relativement à la nature du temps qu'il fait. De même en effet que la nature du mauvais temps ne réside pas dans une ou deux averses, mais dans une tendance qui va dans ce sens, pendant un grand nombre de jours consécutifs, de même la nature de la guerre ne réside pas dans un combat effectif, mais dans une disposition avérée, allant dans ce sens, aussi longtemps qu'il n'y a pas assurance du contraire. Tout autre temps se nomme Paix. » Hobbes Léviathan, ch.13

 

 

 

TEXTE 3 : La liberté dans le refus d’une personnalisation du pouvoir

 

« On a beau vouloir confondre l’indépendance et la liberté. Ces deux choses sont si différentes que même elles s’excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres, et cela ne s’appelle pas un État libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui, elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre, et régner c’est obéir.

Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois : dans l’état même de nature l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n’obéit qu’aux lois et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu’on donne dans les républiques au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l’enceinte sacrée des lois : ils en sont les ministres non les arbitres, ils doivent les garder non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l’homme, mais l’organe de la loi. En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien de plus certain.

Rousseau, Lettres écrites de la montagne – VIII

 

 

 

TEXTE 4 L’imagination comme instrument du pouvoir Pascal

 

« Qui dispense la réputation, qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imaginante ? Combien toutes les richesses de la terre insuffisantes sans son consentement.

Ne diriezvous pas que ce magistrat dont la vieillesse vénérable impose le respect à tout un peuple se gouverne par une raison pure et sublime et quil juge des choses par leur nature sans sarrêter à ces vaines circonstances qui ne blessent que l’imagination des faibles ? Voyezle entrer dans un sermon où il apporte un zèle tout dévot, renforçant la solidité de sa raison par lardeur de sa charité. Le voilà prêt à louïr avec un respect exemplaire. Que le prédicateur vienne à paraître, si la nature lui a donné une voix enrouée et un tour de visage bizarre, que son barbier l’ait mal rasé, si le hasard l’a encore barbouillé de surcroît, quelques grandes vérités qu’il annonce, je parie la perte de la gravité de notre sénateur.

Le plus grand philosophe du monde sur une planche plus large qu’il ne faut, s’il y a audessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs nen sauraient soutenir la pensée sans pâlir et suer.

Je ne veux pas rapporter tous ses effets. Qui ne sait que la vue des chats, des rats, l’écrasement d’un charbon, etc. emportent la raison hors des gonds. Le ton de voix impose aux plus sages et change un discours et un poème de force. L’affection ou la haine changent la justice de face. Et combien un avocat bien payé par avance trouvetil plus juste la cause quil plaide ! Combien son geste hardi la faitil paraître meilleure aux juges dupés par cette apparence ! Plaisante raison quun vent manie et à tout sens ! Je rapporterais presque toutes les actions des hommes, qui ne branlent presque que par ses secousses. Car la raison a été obligée de céder, et la plus sage prend pour ses principes ceux que l’imagination des hommes a témérairement introduits en chaque lieu. » Pascal Br.82

 

 

 

TEXTE 5 L’habileté du prince

 

Un prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait nuisible, et que les raisons qui l’ont déterminé à promettre n’existent plus : tel est le précepte à donner. Il ne serait pas bon sans doute, si les hommes étaient tous gens de bien ; mais comme ils sont méchants, et qu’assurément ils ne vous tiendraient point leur parole, pourquoi devriez-vous leur tenir la vôtre ? Et d’ailleurs, un prince peut-il manquer de raisons légitimes pour colorer l’inexécution de ce qu’il a promis ? (…) Mais pour cela, ce qui est absolument nécessaire, c’est de savoir bien déguiser cette nature de renard, et de posséder parfaitement l’art et de simuler et de dissimuler. Les hommes sont si aveugles, si entraînés par le besoin du moment, qu’un trompeur trouve toujours quelqu’un qui se laisse tromper. (…) On doit bien comprendre qu’il n’est pas possible à un prince, et surtout à un prince nouveau, d’observer dans sa conduite tout ce qui fait que les hommes sont réputés gens de bien, et qu’il est souvent obligé, pour maintenir l’État, d’agir contre l’humanité, contre la charité, contre la religion même. Il faut donc qu’il ait l’esprit assez flexible pour se tourner à toutes choses, selon que le vent et les accidents de la fortune le commandent ; il faut, comme je l’ai dit, que tant qu’il le peut il ne s’écarte pas de la voie du bien, mais qu’au besoin il sache entrer dans celle du mal.

Il doit aussi prendre grand soin de ne pas laisser échapper une seule parole qui ne respire les cinq qualités que je viens de nommer ; en sorte qu’à le voir et à l’entendre on le croie tout plein de douceur, de sincérité, d’humanité, d’honneur, et principalement de religion, qui est encore ce dont il importe le plus d’avoir l’apparence : car les hommes, en général, jugent plus par leurs yeux que par leurs mains, tous étant à portée de voir, et peu de toucher. Tout le monde voit ce que vous paraissez ; peu connaissent à fond ce que vous êtes, et ce petit nombre n’osera point s’élever contre l’opinion de la majorité, soutenue encore par la majesté du pouvoir souverain. Machiavel, Le Prince, ch.18

 

 

 

TEXTE 6 L’importance de la structure pyramidale dans la tyrannie

 

« mais certes il est vrai : ce sont toujours quatre ou cinq qui maintiennent le tyran, quatre ou cinq qui tiennent tout le pays en servage. Toujours il a été que cinq ou six ont eu l’oreille du tyran, et s’y sont approchés d’eux-mêmes, ou bien ont été appelés par lui, pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés, et communs aux biens de ses pilleries. Ces six adressent si bien leur chef, qu’il faut, pour la société, qu’il soit méchant, non pas seulement par ses méchancetés, mais encore des leurs. Ces six ont six cents qui profitent sous eux, et font de leurs six cents ce que les six font au tyran. Ces six cents en tiennent sous eux six mille, qu’ils ont élevé en état, auxquels ils font donner ou le gouvernement des provinces, ou le maniement des deniers, afin qu’ils tiennent la main à leur avarice et cruauté et qu’ils l’exécutent quand il sera temps, et fassent tant de maux d’ailleurs qu’ils ne puissent durer que sous leur ombre, ni s’exempter que par leur moyen des lois et de la peine. Grande est la suite qui vient après cela, et qui voudra s’amuser à dévider ce filet, il verra que, non pas les six mille, mais les cent mille, mais les millions, par cette corde, se tiennent au tyran, s’aident d’icelle comme, en Homère, Jupiter qui se vante, s’il tire la chaîne, d’emmener vers soi. » La Boétie, Discours de la servitude volontaire

 

 

 

TEXTE 7 La structure particulière du système totalitaire

 

« La liberté, en tant que capacité intérieure de l'homme, est identique à la capacité de commencer, de même que la liberté en tant que réalité politique est identique à un espace entre les hommes où ceux-ci puissent se mouvoir. Sur le commencement, aucune logique, aucune déduction incontestable ne peut avoir aucun pouvoir, car son enchaînement présuppose, sous la forme d'une prémisse, le commencement. De même que le besoin de la terreur naît de la peur qu'avec la naissance de chaque être humain un nouveau commencement n'élève et ne fasse entendre sa voix dans le monde, de même la mobilisation de la force autocontraignante du système logique a pour origine la peur que quelqu'un ne se mette à penser — activité qui, en tant que la plus libre et la plus pure des activités humaines, est justement tout l'opposé du processus contraignant de la déduction. Le régime totalitaire ne peut tenir que dans la mesure où il est capable de mobiliser la propre volonté de puissance de l'homme pour le forcer à entrer dans ce gigantesque mouvement de l'Histoire ou de la Nature auquel le genre humain est censé servir de matériau et qui ne connaît ni naissance ni mort. » H. Arendt, Le système totalitaire.

 

 

 

TEXTE 8 La légitimité n’est jamais qu’une légitimation

 

«  Justice, force. Il est juste que ce qui est juste soit suivi; il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi.   La justice sans la force est impuissante; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu’il y a toujours des méchants. La force sans justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste. La justice est sujette à dispute. La force est très reconnaissable et sans dispute. Aussi on n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste. Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. » PASCAL Pensées 298

 

 

 

TEXTE 9 L’insuffisance d’une référence à la famille pour fonder le pouvoir

 

« La plus ancienne de toutes les sociétés et la seule naturelle est celle de la famille. Encore les enfants ne restent-ils liés au père qu'aussi longtemps qu'ils ont besoin de lui pour se conserver. Sitôt que ce besoin cesse, le lien naturel se dissout. Les enfants, exempts de l'obéissance qu'ils devaient au père, le père exempt des soins qu'il devait aux enfants, rentrent tous également dans l'indépendance. S'ils continuent de rester unis ce n'est plus naturellement, c'est volontairement, et la famille elle-même ne se maintient que par convention.

Cette liberté commune est une conséquence de la nature de l'homme. Sa première loi est de veiller à sa propre conservation, ses premiers soins sont ceux qu'il se doit à lui-même, et, sitôt qu'il est en âge de raison, lui seul étant juge des moyens propres à se conserver devient par là son propre maître.

La famille est donc, si l'on veut, le premier modèle des sociétés politiques ; le chef est l'image du père, le peuple est l'image des enfants, et tous étant nés égaux et libre n'aliènent leur liberté que pour leur utilité. Toute la différence est que dans la famille l'amour du père pour ses enfants le paye des soins qu'il leur rend, et que dans l'État le plaisir de commander supplée à cet amour que le chef n'a pas pour ses peuples. » Rousseau, Du contrat social, ch.2

 

 

TEXTE 10 La démocratie : un navire où les vrais pilotes sont désavoués. (Texte emprunté au site Platon et ses dialogues )

 

 Conçois en effet quelque chose comme ça se produisant soit sur plusieurs navires, soit sur un seul : un patron (8) par la taille et [488b] par la force au-dessus de tous ceux qui sont dans le navire, mais presque sourd et y voyant aussi peu que s'y connaissant en matières de navigation, le reste à l'avenant, les matelots d'autre part se querellant les uns les autres sur les questions de pilotage, chacun estimant devoir piloter, (9) mais n'ayant pourtant jamais étudié cet art ni n'étant en mesure de désigner son maître ni l'époque à laquelle il l'a étudié, et en plus de ça affirmant qu'il ne peut pas être enseigné, mais aussi résolus à tailler en pièces celui qui dit que c'est enseignable, eux-mêmes éprouvant toujours le besoin [488c] de se masser autour du patron lui-même et faisant tout pour qu'il leur confie éventuellement le gouvernail, et parfois, s'ils ne le convainquent pas mais d'autres plutôt [qu'eux], ces autres-là d'une part, les mettant à mort ou les rejetant hors du navire, (10) et le noble patron (11) d'autre part, l'entravant par la mandragore ou d'ivresse ou quelque autre [moyen], (12) d'assumer le commandement du navire, se servant de ce qu'il contient et buvant et festoyant pour naviguer comme il convient à leurs semblables, et en plus de ça, louant [488d] en appelant navigateur expérimenté et apte au pilotage et s'y connaissant sur les questions de navigation celui qui se trouve être particulièrement habile à les rassembler pour qu'ils prennent le commandement soit en persuadant soit en forçant le patron, blâmant par contre celui qui n'est pas tel comme inutile, et d'autre part à propos du véritable pilote (13) ne se rendant absolument pas compte qu'il lui est nécessaire de faire l'étude de la période de l'année et des saisons et du ciel et des astres et des vents et de toutes les choses qui se rattachent à son art s'il veut être réellement apte à diriger un navire, et par ailleurs, comment il pilotera, [488e] que d'aucuns le veuillent bien ou pas, pensant que de cela, il n'est possible d'acquérir ni un art, ni une pratique en même temps que l'art du pilotage. (14) Dans de telles [situations] se produisant à l'égard des navires, celui qui est véritablement apte au pilotage, ne penses-tu pas qu'en réalité il sera appelé observateur d'étoiles (15) [489a] et bavard et inutile pour eux par les navigateurs [embarqués] dans des bateaux pourvus de tels équipages ?
Tout à fait, dit Adimante.
Eh bien ! repris-je, je pense que tu n'as pas besoin que l'image soit examinée dans ses moindres détails pour voir qu'elle montre une disposition similaire à celles des cités (16) dans leurs relations avec les vrais philosophes, mais que tu comprends ce que je veux dire. Platon, République VI

 

TEXTE 11 Le pouvoir fondé sur le savoir, idéal platonicien

 

« Voyant cela et voyant les hommes qui menaient la politique, plus je considérais les lois et les mœurs, plus aussi j’avançais en âge, plus il me parut difficile de bien administrer les affaires de l’Etat. D’une part, sans amis et sans collaborateurs fidèles, cela ne me paraissait pas possible. Or parmi les citoyens actuels, il n’était pas commode d’en trouver, car ce n’était plus selon les us et coutumes de nos ancêtres que notre ville était régie. Quant à en acquérir de nouveaux, on ne pouvait compter le faire sans trop de peine. De plus, la législation et la moralité étaient corrompues à un tel point que moi, d’abord plein d’ardeur pour travailler au bien public, considérant cette situation et voyant comment tout marchait à la dérive, je finis par en être étourdi. Je ne cessais pourtant d’épier les signes possibles d’une amélioration dans ces événements spécialement dans le régime politique, mais j’attendais toujours, pour agir, le bon moment. Finalement, je compris que tous les Etats actuels sont mal gouvernés, car leur législation est à peu près incurable sans d’énergiques préparatifs joints à d’heureuses circonstances. Je fus alors irrésistiblement amené à louer la vraie philosophie et à proclamer que, à sa seule lumière, on peut reconnaître où est la justice dans la vie publique et dans la vie privée. Donc les maux ne cesseront pas pour les humains avant que la race des purs et authentiques philosophes n’arrive au pouvoir ou que les chefs des cités, par une grâce divine, ne se mettent à philosopher véritablement. » Platon, Lettre VII

 

 

 

TEXTE 12 Le contrat social

 

« Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant. " Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution.

Les clauses de ce contrat sont tellement déterminées par la nature de l'acte que la moindre modification les rendrait vaines et de nul effet ; en sorte que, bien qu'elles n'aient peut-être jamais été formellement énoncées, elles sont partout les mêmes, partout tacitement admises et reconnues ; jusqu'à ce que, le pacte social étant violé, chacun rentre alors dans ses premiers droits et reprenne sa liberté naturelle, en perdant la liberté conventionnelle pour laquelle il y renonça.

Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. Car, premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et la condition étant égale pour tous, nul n'a intérêt de la rendre onéreuse aux autres. » Rousseau, Du contrat social, Ch.6

 

Texte 13 :  Résistance et obéissance contre tyrannie et anarchie

 

« Résistance et obéissance, voilà les deux vertus du citoyen. Par l’obéissance il assure l’ordre; par la résistance il assure la liberté. Et il est bien clair que l’ordre et la liberté ne sont point séparables, car le jeu des forces, c’est-à-dire la guerre privée, à toute minute, n’enferme aucune liberté ; c’est une vie animale, livrée à tous les hasards. Donc les deux termes ordre et liberté, sont bien loin d’être opposés ; j’aime mieux dire qu’ils sont corrélatifs. La liberté ne va pas sans l’ordre ; l’ordre ne vaut rien sans la liberté. Obéir en résistant, c’est tout le secret. Ce qui détruit l’obéissance est anarchie ; ce qui détruit la résistance est tyrannie. Ces deux maux s’appellent, car la tyrannie employant la force contre les opinions, les opinions, en retour, emploient la force contre la tyrannie ; et inversement, quand la résistance devient désobéissance, les pouvoirs ont beau jeu pour écraser la résistance, et ainsi deviennent tyranniques. Dès qu’un pouvoir use de force pour tuer la critique, il est tyrannique. » ALAIN